« Que la stratégie soit belle est un fait, mais n’oubliez pas de regarder le résultat. »
Winston Churchill
Les métaphores guerrières sont utilisées à tout va dans les métiers du marketing où l’on parle de cibles, de campagnes, de tactiques, où l’on fait de la guérilla et où on s’isole dans des war rooms en gestion de crise. On emprunte beaucoup de vocabulaire aux militaires, dont le terme le plus noble est « stratégie ». Apanage des généraux et des ministres, la stratégie est le précarré de ceux qui décident et influent, et c’est sans doute la raison pour laquelle il est dans chaque document et, malheureusement, accommodé à toutes les sauces.
Pour le Petit Larousse la stratégie est : » l’art de coordonner des actions, de manœuvrer habilement pour atteindre un but « . La tactique est elle définie comme étant : » l’ensemble de moyens habiles employés pour obtenir le résultat voulu « . En synthèse : la tactique permet de gagner la bataille, la stratégie de gagner la guerre. Sauf que sur le web, la guerre ne se termine jamais, qu’il n’y aura pas d’armistice, et que le champ de bataille est sans fronts ni frontières définies. Les ennemis d’aujourd’hui sont potentiellement les alliés d’hier ou de demain, ils vont très vite et grossissent encore plus vite, sur un marché de niche ou des domaines généralistes (ex : transport).
L’environnement est complexe, protéiforme et très mouvant, Mobilis in mobili
Avec le numérique, il n’y a plus de règle, ou alors pas les mêmes. La grande différence pour les entreprises nées au XXe siècle, c’est qu’ils connaissent le terrain, qu’ils y sont chez eux et qu’ils n’ont d’autre but que la conquête à grande échelle et à n’importe quel prix.
Nous sommes dans un environnement VUCA : les alliances des assaillants ont des variantes infinies, les données qui proviennent du terrain sont incertaines, arrivent tardivement ou sont impossible à analyser. De nombreux indices économiques sont illisibles avec les grilles de lecture traditionnelles, il est donc impossible de continuer à opérer avec la confiance et la sérénité d’hier. Au siècle dernier, les erreurs pouvaient être encaissées et les défaillances pardonnées sur un ou deux exercices comptables. Cette marge de sécurité n’existe plus pour la majorité des entreprises. Les décisions doivent dorénavant être éclairées et rapides, de l’ordre du réflexe, et les processus décisionnels s’en trouvent bousculés. On passe du leadership (diriger avec des attributions hiérarchiques liées à une fonction) au leadershift (décisionnaires ou directoire intégrant différents niveaux hiérarchiques et autorités de compétences dans un environnement en changement permanent).
Il n’est plus plus possible d’avoir UNE stratégie digitale
Demandez à voir l’expression de la stratégie digitale de n’importe quelle entreprise et vous vous rendrez compte que si l’on veut avoir une représentation holistique de tous les enjeux liés au numérique, c’est soit une note extrêmement verbeuse et complexe, loin des réalités opérationnelles, soit le néant. C’est généralement un document que l’on peine à consigner, à rendre intelligible, que l’on édulcore et affadie pour embrasser toutes les réalités de l’entreprise et que l’on à bien du mal à communiquer en interne comme en externe. De plus c’est un document qui a, tout le monde le sait, une date de péremption que l’on sous estime systématiquement, bien qu’il fourmille de néologismes qui ne sont pas encore entrés dans le dictionnaire.
Mais après tout, comment formaliser une stratégie digitale qui englobe pour un grand groupe l’ensemble de ses métiers, avec des besoins différents et des marchés différents ? La réponse est simple : c’est complexe et c’est dangereux.
Il est nécessaire d’avoir une stratégie d’entreprise dans un monde digital
La différence est que dans la stratégie digitale on décrit et dessine les chemins, alors que dans la stratégie dans un monde digital on donne envie de prendre la route et d’atteindre un but. Pour la simple et bonne raison que c’est une vision que l’on exprime, avec une direction et des objectifs. L’emphase est mise sur les grands enjeux de l’entreprise et non les moyens de les mettre en œuvre.
On exprime plus simplement une trajectoire et ce vers quoi on se dirige avec une vision cible. Ainsi, il est aujourd’hui nécessaire de pouvoir donner de la souplesse opérationnelle pour ne pas contraindre les équipes avec des injonctions fonctionnelles ou technologiques. Il faut libérer la créativité et donner de l’autonomie à vos équipes, il faut doter la structure d’une capacité à s’adapter rapidement aux usages et aux technologies. Gardez bien en tête que ces derniers changent de toute manière beaucoup plus vite que la capacité de l’entreprise à supporter l’accélération que vous ne pourrez plus jamais dicter votre rythme au marché, comme c’était le cas au XXe siècle avec les grandes vagues publicitaires.
On s’adapte et on adapte en permanence. Si les collaborateurs comprennent que l’on sait qu’il y a une latence, mais que l’on garde le cap, ils continueront d’avancer sans se décourager, ils resteront mobilisés sur le cap. Pour aligner le business à l’époque, il faut faire avec les règles de l’époque en étant orienté par les événements autant que par les décisions et la vision. Il faut sensibiliser les collaborateurs, les acculturer, les former et les inspirer.
Il faut faire aimer plutôt que faire craindre, « L’art de la guerre » de Sun Tzu est aujourd’hui préféré à « L’art d’aimer » d’Erich Fromm, et pourtant la conquête amoureuse est plus efficace que la conquête par les armes.