La maturité digitale est un actif immatériel stratégique

« L’investissement dans la connaissance est celui qui rapporte le plus d’intérêts. »
Benjamin Franklin

D’après les dernières estimations du Broadband Commission for Sustainable Development, la moitié de la population mondiale est hors-ligne (Half the world’s population is still offline). Si nos calculs sont exacts, cela veut dire que la moitié est en ligne, soit un peu plus de 3,8 milliards d’individus. En France,  c’est plus de 85% de la population est connectée. Tenez-le pour dit : le numérique est omniprésent, pourtant les compétences numériques en entreprises se font rares : diriez-vous que 85% de vos collaborateurs sont compétents pour ce qui touche au numérique ?

La maturité digitale est un sujet tabou

Lancé en début d’année, l’indice de vulnérabilité à la disruption d’Accenture, nous apprend que 2/3 des entreprises font face à un fort risque de disruption de leur activité. Si ce chiffre n’est pas censé vous surprendre, il devrait vous interpeler sur la nécessité de préparer vos équipes à l’inexorable transition numérique que nous sommes en train de vivre. Une réalité que vous pouvez ignorer, mais qui n’échappe pas à vos collaborateurs. L’étude publiée en fin d’année dernière par l’AFPA et IPSOS (La transformation du monde professionnel) nous révèle que 92% des actifs sont d’accord avec l’affirmation que le monde professionnel connait une transformation sans précédent dans l’histoire. Stimulé par l’hégémonie des usages numériques, le risque de disruption est bien réel, et il augmente chaque mois, de même que votre dette numérique.

Si de nombreuses entreprises ont déjà initié des programmes de transformation digitale, se sont avant tout les activités périphériques que l’on cherche à transformer, pas le coeur de l’entreprise. Une réalité qui encore une fois n’a pas échappé aux collaborateurs, comme nous le confirme le dernier rapport sur l’état de la transformation digitale de Forrester (The Sorry state of Digital Transformation in 2018) : 1/4 des entreprises n’ont rien commencé ou sont encore dans la phase d’investigation, tandis que plus de la moitié commencent à peine en lançant des initiatives à la marge : nouveaux sites web ou applications mobiles, basculement des outils informatiques vers le cloud et les logiciels en ligne… Certes, les actifs numériques sont un levier stratégique pour les entreprises, c’est indéniable, mais quid de ses actifs biologiques : les collaborateurs ?

1/4 de salariés seront obsolètes dans 5 ans

Avec le phénomène d’accélération digitale, les travailleurs du savoir (knowledge workers) sont confrontés à des sujets très anxiogènes : big data, automatisation, intelligence artificielle… sont autant de thématiques complexes à appréhender qui peuvent être source de tensions pour des collaborateurs ne se sentant pas à niveau. Et là encore, nous ne sommes pas dans une optique de prospective à long terme : d’après un récent rapport de McKinsey, 70% des managers européens pensent qu’ils devront renouveler plus de 25% de la force de travail d’ici à 2023. Ce renouvellement devra se faire soit par le biais de recrutements, soit grâce à la formation (Retraining and reskilling workers in the age of automation). Nous sommes tous conscients de la difficulté d’attirer les jeunes diplômés (surtout les plus compétents) ainsi que du coût que représente leur intégration au sein d’une grande structure. La seconde option semble donc être nettement plus intéressante, et surtout plus réaliste au vu de la rigueur de la législation du travail en France. Une préférence d’ailleurs confirmée par McKinsey : l’acquisition de nouvelles compétences est un des 7 facteurs de réussite de la transformation digitale.

Dans l’absolu, la nécessité de mettre à jour les compétences au regard des évolutions technologiques n’est pas une révélation fracassante, nous nous en doutions tous. En revanche, l’accélération du rythme de la transition numérique précipite les choses et nous pousse à envisager une généralisation de cette montée en compétences numériques.

La maturité digitale en tant que levier de performance économique

Pour faire face aux nouveaux enjeux de la société digitale, le Forum Économique Mondial a lancé cette année une initiative très intéressante pour préparer les enfants au monde numérique dans lequel il devront évoluer : le Digital Quotient, par analogie avec le quotient intellectuel.

La réflexion que m’inspire cette initiative est la suivante : pourquoi n’existe-t-il pas un équivalent pour les professionnels ? Et plus spécifiquement les travailleurs du savoir qui sont les premiers utilisateurs des outils numériques. Non seulement le quotient numérique permettrait de mesurer la maturité digitale de vos collaborateurs, pour mieux cerner les besoins et les domaines où la remise à niveau est la plus urgente, mais elle permettrait en plus de faire prendre conscience aux individus du retard qu’ils ont accumulé, de leur dette numérique.

Idéalement, cette évaluation de la maturité digitale devrait se faire sur la base de compétences génériques (culture digitale, connaissance des outils numériques comme l’email ou les logiciels en ligne…), mais également de compétences spécifiques à votre secteur d’activité (activités digitales des concurrents, startups…) ou à l’entreprise elle-même.

Une fois cette évaluation faite, chaque département aurait une vision bien plus précise des besoins de remise à niveau et des actions de formation concrètes qui pourraient être mises en oeuvre. Nous ne parlons pas ici d’opérations « coup de poing » comme vous avez déjà dû en mener par le passé (deux ou trois jours de formation intensive), mais d’un dispositif pédagogique pérenne permettant aux collaborateurs de se former de façon régulière en fonction de leur disponibilité (bases de connaissances, groupes de réflexion, communautés de pratique, micro-apprentissage…).

Par expérience, nous avons acquis la certitude que la maturité digitale est un actif stratégique pour l’entreprise, elle permet aux collaborateurs de mieux se projeter dans l’avenir et de diminuer la résistance au changement. En revanche, c’est un actif qui se déprécie très rapidement, à mesure que les technologies se perfectionnent et que les usages évoluent. Veillez donc à mettre en place un programme de montée en compétences qui repose sur un nouvel état d’esprit : celui de l’apprentissage permanent, plus en phase avec la volatilité de l’économie du XXIe siècle.