« Face au monde qui change, il vaut mieux penser le changement que changer le pansement. »
Francis Blanche
En tant que consultant, j’ai la chance de pouvoir observer de nombreux cadres de travail, de multiples cultures et de consolider une analyse sur les points communs des grandes entreprises qui ont du mal à opérer leur accélération numérique. Le sujet est notamment celui de la montée en compétences, mais le blocage le plus marquant est très certainement lié à la résistance au changement. Qui que vous soyez, en fonction de votre énergie du moment, de votre niveau de curiosité, du temps déjà passé dans l’entreprise, de votre statut hiérarchique… vous pouvez être touché par ce mal qui ronge de nombreuses entreprises.
Je vous propose un petit tour d’horizon des trois principaux facteurs qui en sont à l’origine et sur lesquels il faut travailler, illustrés par des histoires (anonymisées) qu’ont pu me raconter mes différents interlocuteurs au fil des rendez-vous.
Premier facteur de résistance au changement : l’individu. Chacun d’entre nous a des représentations de ce que constitue le changement, et du degré de changement que l’on est prêt à accepter. Entre l’envie de découverte et l’angoisse, la frontière est parfois ténue. De plus, nous identifiions plus facilement les pertes (de pouvoir, d’influence, d’autonomie…) que les gains. J’ai ainsi eu une discussion récente avec le responsable du programme de transformation digitale d’une grande entreprise publique où une partie des collaborateurs sont très réfractaires à l’évolution de leurs missions, ils refusent de s’adapter aux nouveaux usages. La résistance peut être très forte : certains collaborateurs appellent par exemple le service informatique pour venir remettre du papier dans leur imprimante, car ils considèrent que ce n’est pas leur métier. Ce type de comportement est un signal fort qui ne peut pas être ignoré.
Deuxième facteur : l’organisation. La structure même de l’entreprise peut être une source de résistance au changement. Bureaucratie, baronnies, procédures alambiquées, mainmise des syndicats… ne faciliteront pas l’évolution. De même, des valeurs positives peuvent favoriser la résistance, comme la cohésion ou la solidarité qui peuvent inciter à faire bloc contre de nouvelles façons de fonctionner, même si elles sont objectivement plus efficaces. Dans une grande entreprise de construction, le responsable d’une business unit me confiait qu’on lui demande de plus en plus de reporting sur son activité : « Au vu du nombre de reporting produits, j’avais des doutes sur le fait qu’ils soient tous nécessaires. Du coup un jour, j’ai décidé de ne pas en faire un, et personne ne s’en est aperçu ! »
Troisième facteur de résistance au changement : l’absence de vision. Au fil des années, les grandes entreprises ont connu différentes réorientations stratégiques et culturelles et les collaborateurs ont du mal à s’investir à chaque changement de cap. Dans un contexte d’accélération numérique, on observe trop souvent un manque de communication de l’ambition de l’entreprise, d’une prise en main réelle du sujet. Les salariés peuvent se sentir embarqués de force dans un chantier de transformation dont ils ne maitrisent pas les enjeux. Une situation d’incompréhension qui génère du stress et de l’inquiétude chez les salariés, qui pourrait être évitée avec un travail pédagogique en amont. Par exemple, dans une grande entreprise liée au secteur de l’énergie, l’équipe en charge de la transformation digitale devait organiser une journée dédiée au numérique où le comité de direction devait partager sa vision à 4 ans. Plutôt que de travailler en interne sur la formulation de cette vision autour de problématiques proches du quotidien des salariés, ils ont missionné un grand cabinet de conseil qui a formulé une stratégie déconnectée des problématiques réelles de l’entreprise. Le cabinet de conseil lui-même est passé par un consultant conférencier pour réussir à rendre l’ensemble intelligible !
Ces trois anecdotes illustrent les facteurs de résistance au changement. La question qui se pose maintenant est de savoir comment diminuer cette résistance. Le facilitateur le plus évident, mais celui dont nous manquons tous est le temps. Ainsi les interlocuteurs avec qui je collabore au niveau des RH estiment généralement que le changement culturel d’une organisation prend autour de 5 ans. Une période longue, mais nécessaire pour repenser l’organisation et de la rendre mieux adaptée aux nouvelles exigences du marché. Une période également nécessaire pour les collaborateurs les plus réfractaires deviennent minoritaires et isolés. Enfin, une période nécessaire pour que la vision soit parfaitement diffusée et assimilée par l’ensemble des collaborateurs.
Ce processus d’assimilation implique de passer par plusieurs étapes, qu’on peut comparer avec celles vécues lors d’un deuil :
Source du visuel : Gérard-Dominique Carton
Pour équilibrer mon discours, je préciserai que chacun a le droit de s’opposer à certains changements. Vous pouvez par exemple regretter l’évolution de la culture d’entreprise et chercher à la préserver dans la mesure où elle compose l’ADN de l’entreprise, et ne constitue pas forcément un handicap pour son futur. Les dirigeants de l’entreprise sont en effet parfois prêts à sacrifier ces « détails » sur l’autel d’une vision centrée sur la rentabilité, là où une entreprise est aussi une formidable aventure humaine.
Si ce sujet fait écho à ce que vous vivez dans votre entreprise, n’hésitez pas à échanger avec nous.