La culture numérique est le principal facteur de fracture numérique

« Un homme sans culture, c’est comme un zèbre sans rayures. »
Proverbe massai

Comme le faisait fort justement remarquer Bob Marley : « le rastafari ce n’est pas une culture, c’est une réalité ». Il ne faisait pas référence aux fans de la musique reggae, mais à tous ceux qui avaient adopté la philosophie rastafari. Pour le numérique, c’est à peu près la même chose : le web n’est pas simplement une technologie, mais une réalité de marché qui se chiffre en billions de dollars.

La culture numérique conditionne la résistance au changement

Si une bonne connaissance des outils et pratiques numériques est un réel avantage dans le monde de l’entreprise, sa méconnaissance est potentiellement un handicap pour ceux qui n’en comprennent pas les enjeux et les refusent de façon explicite (les techno-réfractaires) ou implicite (résistance passive). Cette résistance passive au numérique, et plus généralement au changement, peut coûter très cher à une entreprise ou une organisation, et être un réel frein à sa transformation digitale. Bien souvent, cette résistance n’est pas une question de principe, mais la résultante d’un manque d’information ou de pédagogie sur les sujets liés au numérique. Nous ne parlons pas ici d’un déficit de formation en compétences formelles (ex : SEO, programmatic buying…), mais bien d’une carence en culture numérique, celle qui permet de mieux comprendre et surtout de mieux accepter.

La réticence au numérique peut se manifester de différentes façons :

  • émettre des doutes sur les définitions de Wikipedia (« on ne sait jamais qui a contribué, et en plus, personne ne vérifie« ) ;
  • ressentir une gêne à l’idée de retrouver l’âme soeur via des sites ou applications mobiles de rencontre (« on peut tomber sur n’importe qui« ) ;
  • estimer que les jeunes perdent leur temps sur Minecraft ou Fortnite (« ils feraient mieux de sortir et de faire des choses avec d’autres jeunes de leur âge« ) ;
  • rester sceptique quand à la réelle valeur des bitcoins (« c’est du virtuel, ça n’existe pas« ) ;
  • avoir peur des intelligences artificielles ou des robots (« ils vont nous voler notre travail« )…

Toutes ces manifestations sont en fait des blocages culturels qui ne sont pas dérangeants à un niveau personnel, mais peuvent être problématiques dans un contexte professionnel, surtout quand il faut faire des arbitrages budgétaires (« je ne vais quand même pas allouer plus de budgets publicitaires à YouTube qu’à la TV« ) ou choisir des orientations stratégiques (« je refuse de démanteler mon réseau de distribution physique pour privilégier des ventes en ligne virtuelles« ). Bien souvent, les décisions se font sur la base de l’habitude ou selon un carcan culturel qui commence sérieusement à dater, surtout pour les décisionnaires en haut de la pyramide hiérarchique qui ont certainement commencé leur carrière à une époque où l’informatique faisait ses débuts en entreprise.

Voilà pourquoi la culture est un enjeu de taille, aussi bien sur le plan personnel (participant à la fracture numérique) que dans un contexte professionnel : un déficit en ce domaine peut entrainer des décisions irrationnelles qui vont avoir de graves conséquences sur la compétitivité ou la pérennité d’une entreprise.

La culture numérique est avant tout le problème de la génération X

Selon Wikipedia, la culture numérique se définit comme toute forme de production originale d’une œuvre culturelle à l’aide des technologies numériques. J’opterai pour une définition plus large : la culture numérique représente selon moi la capacité d’un individu à comprendre les codes web et à adopter les différents usages numériques. Si l’on en croit l’opinion publique, Il faut « développer la culture numérique dès le plus jeune âge ». Ce à quoi je répondrai : absolument pas, les jeunes se débrouillent très bien tout seuls dans l’apprentissage et l’adoption du numérique. En revanche, il y a un énorme déficit de culture numérique pour la génération X, ce que j’ai décrit dans un autre article comme la dette numérique.

J’insiste sur le fait que la culture numérique ne concerne pas les hard skills (savoir coder ou paramétrer une campagne sur Instagram), mais des connaissances de base. Essayez donc de demander à vos collègues de vous expliquer ce qu’est l’internet ou comment fonctionne un site web pour vous en convaincre. Pour combler ces connaissances de base, il existe des ressources en ligne comme le portail sur la culture numérique de l’université de Lille, mais les modules ne sont pas assez vulgarisateurs à mon goût, et ils font l’impasse sur les usages. Il y a également cette excellente introduction générale à la culture numérique, où tous les impacts du numérique sont abordés (économiques, sociales, juridiques, politiques, géopolitiques…), mais cette vidéo date de 2009 !

Le chantier de la culture numérique est donc plus important qu’on ne le pense, et surtout prioritaire, car il conditionne la réussite ou la résistance face à un programme de transition numérique. Cette étude récente du BCG confirme que la culture numérique est un ingrédient essentiel de la transformation digitale : It’s Not a Digital Transformation Without a Digital Culture.

Outre la compréhension des enjeux et des usages, la culture numérique dans un environnement professionnel englobe également l’acquisition un certain nombre de soft skills et comportements comme l’agilité, l’innovation, la vision centrée sur les clients, la collaboration, la transparence, l’ouverture… (cf. The First Step To Shift To A Digital Culture).

Enfin, pour illustrer le déploiement à grande échelle d’une culture numérique, je vous recommande ce témoignage d’un opérateur téléphonique asiatique : How a large established company built a digital culture.

Pour conclure, je ne peux que vous prodiguer un conseil simple : faites les choses dans l’ordre. Commencez ainsi par combler les connaissances de base de vos salariés et améliorer leur culture numérique plutôt que d’asséner vos collaborateurs avec des injonctions sur la nécessité d’exploiter le machine learning dans les plus brefs délais ou de penser comme une startup. Des changements qui sont peut-être nécessaires et/ou légitimes, mais qui risquent de ne pas être bien compris ou accueillis par des salariés qui n’en comprennent pas les enjeux, car ils sont en dehors de leur carcan culturel.