Digital en Chine : pourquoi les grandes entreprises doivent s’y intéresser

« On passe du Made in China au Created in China »
HUAWEI, IFA 2018

La Chine compte 800 millions d’internautes, ce qui ne représente pourtant qu’un peu plus de la moitié de sa population. Ce chiffre colossal est supérieur par exemple à la totalité des habitants de l’Europe et des États-Unis.

Mais parler d’internaute est plutôt inexact, puisque 95% d’entre eux sont des mobinautes. On assiste d’ailleurs à un saut générationnel, avec une grande majorité des personnes qui n’ont jamais connu Internet autrement que sur un smartphone.

Bien sûr, quand on parle d’internet en Chine, on ne peut passer à côté des problématiques de censure, et penser que cet internet est très différent du nôtre. Mais on pourrait aussi se dire qu’en termes d’expérience utilisateur, les Chinois ont au moins 5 ans d’avance sur nous, et que comprendre leur utilisation peut aider les marques européennes et américaines à entrevoir le futur de leur marché. C’est en tout cas le propos de cet article, et c’est aussi ce que me confirmait un responsable d’une grande marque internationale de cosmétiques : « Aujourd’hui, notre principal focus est sur la Chine. On puise nos tendances digitales là-bas et on essaie de les appliquer sur le marché européen ».

Intéressons-nous à ce que font les Chinois sur leur smartphone. Tout d’abord ils conversent, par le biais d’applications mobiles comme WeChat (encore appelé Weixin et qui revendique 1 MM d’utilisateurs) ou d’un des multiples réseaux sociaux tels que QQ (850M d’utilisateurs), QZone (606M d’utilisateurs), Sina Weibo (360M d’utilisateurs)…

Ils sont également très friands de M-commerce : tous les grands portails sont en version mobile (Tmall, Taobao, JD et plus récemment LittleRedBook), car 80 à 90% du trafic provient soit de leur application mobile, soit de la version mobile du site. Le e-commerce chinois a progressé de près de 10% en début 2018, et il représente plus de 40% de la valeur des transactions mondiales de commerce en ligne.

Mais qu’achètent-ils en ligne ? Absolument tout ! Du poisson frais aux produits quotidiens, de leur ticket de métro à des voitures de luxe. Le paiement se fait principalement via WeChat Pay ou Alipay (propriété du géant Alibaba). Le M-commerce s’accompagne d’une livraison ultrarapide, grâce à un très dense réseau local de livreurs.

Les Chinois sont aussi de gros utilisateurs de QR Codes (qui sont pourtant un non-sujet en Europe). Plusieurs facteurs peuvent expliquer leur adoption massive. Tout d’abord parce que ces codes sont nativement compatibles avec WeChat, application la plus populaire de Chine. Mais aussi et surtout à cause de l’absence d’alphabet (il existe des milliers de caractères) et de moteurs de recherche imparfaits qui entraînent un grand risque que les mobinautes ne tombent pas sur le bon site s’ils saisissent une URL. En scannant simplement un code, les utilisateurs évitent le risque de se tromper ou de tomber sur une copie frauduleuse d’un site.

Mais internet ne s’arrête pas à la version en ligne. On parle en Chine d’une fusion de la vie numérique et de la vie physique, décrite sous le nom de « O2O » pour « Online to Offline », et inversement. C’est ainsi que l’on peut facilement payer avec son mobile dans des magasins physiques, et que l’on peut aller jusqu’à acheter ses légumes dans marché avec l’application WeChat.

Même les SDF s’y sont mis en plaçant des QR Codes sur leurs pancartes :

On parle également de « New retail », expression attribuée au fondateur d’Alibaba (équivalent chinois d’Amazon), avec une concentration des investissements sur les innovations dans la distribution traditionnelle (réalité augmentée, applications mobiles…), et sur la digitalisation des bricks-and-mortar (magasins physiques).

Le but du new retail est créer une expérience client unique. Les leaders l’ont compris et y travaillent déjà : Alibaba (premier opérateur e-commerce en Chine) développe le new retail en magasins physiques avec ses partenaires Intime, RT-Mart, Auchan et Suning chain. Tencent (maison-mère de WeChat) travaille à la digitalisation des supermarchés Carrefour, Yonghui, Wanda Plazas, et à l’ouverture de WeChat Stores sans personnel ainsi qu’à la création (en collaboration avec JD et Walmart) de 1.000 supérettes 7Fresh. Dans ces supérettes on pourra entre autres trouver des caddies automatisés qui suivent le client dans ses achats.


Le paiement mobile en Chine, un jeu d’enfant

Les marques chinoises issues du numérique sont d’ailleurs peu à peu en train de sortir du pays. On peut citer les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi – équivalents chinois des GAFA) mais également Huawei, le géant des télécoms. Dans le rapport 2018 de l’analyste Mary Meeker, on peut noter l’évolution de leur puissance : il y a 20 ans, dans le Top 20 des marques mondiales, 9 étaient américaines et 2 chinoises. En 2018, 11 sont américaines et 9 chinoises !

Le marché chinois attise les appétits des GAFA : le géant Google travaille à y lancer son moteur de recherche dans une version « censurée », nom de code Dragonfly. Google est néanmoins déjà présent dans le pays via Google Maps, Google Translate, Google Scholar ou via une mini-app WeChat. L’arrivée de YouTube est elle, plus difficile vis-à-vis de la puissance de son équivalent chinois, Youku.

Enfin, impossible de parler d’Internet en Chine sans mentionner les KOL (« Key Opinion Leaders », qui incluent les wanghong, décrivant des individus connus sur le net). On peut par exemple citer Maolispace, Realsisterguo ou Azinannan sur WeChat. 29% des consommateurs chinois utilisent ainsi les médias sociaux pour consulter les marques et produits utilisés par les influenceurs ou célébrités (comparé à 13% dans le reste du monde). Certains sont très puissants, comme le montre l’exemple de Givenchy qui a fait appel à un influenceur local (1,2 million d’abonnés) pour vendre ses sacs, et qui a généré 173.652$ de ventes en 12 minutes. Contrairement aux influenceurs européens, ils ont une approche très décomplexée et vont jusqu’à vendre les produits des marques dans leur propre boutique en ligne.

Côté budget, au même titre que les Chinois aiment classer leurs villes en trois tiers, ils font de même avec les KOL. Les KOL du tiers inférieur vous coûteront ainsi entre 3.000 et 15.000 RMB (entre 474 et 2.370 €) pour un article. Il faudra en revanche compter entre 15.000 et 80.000 RMB (entre 2.370 et 12.640 €) pour les KOL du tiers du milieu. La facture s’élèvera à un montant se situant entre 80.000 et 500.000 RMB (entre 12.640 et 79.000 €) pour le tiers supérieur. Des chiffres élevés au regard de ce qui se pratique chez nous, mais les KOL font vendre, voire, vendent les produits des marques mieux encore qu’elles n’y parviennent elles-mêmes.

Pour conclure, deux éléments sont également à garder en tête : les consommateurs chinois ne font pas facilement confiance aux marques (ou aux distributeurs) et la réputation qui est primordiale. Ces deux éléments essentiels pour percer sur le marché chinois sont bien mis en valeur dans ce très bonne article du New Yorker sur le succès de JingDong dans les campagnes et petites villes par rapport à son grand rival T-mall : How E-Commerce Is Transforming Rural China.

Cet article n’est bien sûr qu’une vision à l’instant T du marché chinois. N’hésitez pas à intégrer dans votre veille certaines sources en lien dans cet article, ou à nous demander plus d’informations sur le sujet.