L’impact du numérique sur le système d’information et la DSI

« Rien n’est permanent, sauf le changement. »
Héraclite

Transformation du SI

Poursuivons notre passage en revue des différentes facettes de la transformation numérique avec un focus sur la DSI et le chantier d’urbanisation du système d’information. Les millennials ne s’en souviennent pas forcément, mais à une époque pas si lointaine, toutes les entreprises françaises et européennes étaient dans une position très inconfortable, car elles devaient assurer les passages à l’an 2000 et à l’Euro. Deux chantiers qui monopolisaient quasiment l’ensemble des ressources informatiques et qui mettaient en péril la continuité des opérations. Au final, tout s’est (plus ou moins) bien passé, mais ce stress test géant a laissé des séquelles.

Suite à ce traumatisme, les dirigeants ont pris conscience de leur dépendance à l’outil informatique et du risque qu’un système d’information défaillant peut faire courir à une entreprise. En synthèse : une entreprise carbure aussi vite que son SI le lui permet. Comprenez par là qu’un SI performant ne permet pas forcément à une entreprise de gagner plus d’argent ; en revanche, un SI rigide et vieillissant pose de grâces problèmes de performances et de rentabilité.

L’évolution du SI est une étape indispensable à toute transformation numérique

Aujourd’hui, les entreprises et organisations sont soumises à une concurrence beaucoup plus féroce et à un environnement plus volatile où l’incertitude, la complexité et l’ambiguïté sont la norme (cf. la théorie sur le monde VUCA). Pour pouvoir s’adapter et faire face à ces nouvelles règles du jeu, les entreprises doivent faire preuve de créativité, de réactivité, de souplesse… autant de conditions de réussite qui ne peuvent être réunies avec un système d’information conçu dans les années 80.

Pour bien comprendre le défi auquel sont confrontées les entreprises, il faut se replacer dans le contexte de l’époque : la troisième révolution industrielle. C’est au cours de cette période que les entreprises ont massivement déployé les premiers outils informatiques (notamment les grands systèmes centraux) qui répondaient à une logique tayloriste : faire des gains de productivité en informatisant les traitements manuels. Les outils informatiques de l’époque se devaient avant tout d’être stables pour pouvoir soutenir les opérations 24*7*365. Ce déploiement de l’informatique s’est fait de façon conjointe avec l’adoption de processus métier permettant de standardiser / d’optimiser les traitements : les fameux process que l’on répète à l’infini, de plus en plus vite, tels des shadoks.

Le problème est que nous sommes maintenant au XXIe siècle, que les entreprises et organisations subissent une nouvelle forme de concurrence (GAFAM-BATX, plateformes, startups…) contre laquelle les outils informatiques et processus du siècle dernier sont inopérants. Il y a un véritable changement de paradigme dans la façon de faire tourner une entreprise : c’est avant tout la capacité à évoluer et à s’adapter à de nouvelles conditions de marché qui vont pérenniser une entreprise, plus d’efficacité ou de stabilité ne changera rien.

C’est là le drame que vivent des grandes entreprises comme les banques ou compagnies d’assurance : elles sont paralysées par un système d’information trop rigide qui les empêche de faire évoluer leur offre et de s’adapter aux nouvelles attentes et contraintes des clients (La banque ne pourrait donc pas évoluer ? et Les banques font face à un bouleversement technologique sismique). Pour le moment, la situation est encore tenable, mais les acteurs traditionnels subissent une concurrence de nouveaux entrants issus du numérique qui grignotent petit à petit des parts de marché qu’ils ne pourront plus récupérer. Il y a donc urgence pour faire évoluer le système d’information pour pouvoir accompagner une refonte de l’offre et des processus.

Un basculement des applicatifs vers le cloud et une lutte contre le shadow IT

La liste des défis auxquels sont confrontés les DSI est longue : remplacer les briques technologiques obsolètes, favoriser la numérisation des traitements manuels, faire évoluer les applications en fonction des nouveaux métiers / besoins, faciliter la circulation et la sécurisation des données, intégrer les innovations et les mettre au service de la performance… Un ensemble de tâches herculéennes qui ne semblent possibles qu’avec la migration des applicatifs vers le cloud. Dans les grandes lignes, l’idée est de déplacer les applications dans un environnement où l’on pourra plus facilement les faire évoluer. En théorie, car dans les faits, si une application est vieillissante et rigide sur vos serveurs, elle le sera toujours autant sur les serveurs d’Amazon ou Microsoft. Cette grande migration vers le cloud s’accompagne donc logiquement d’une vaste opération de dépoussiérage : soit on repense l’application pour la rendre plus souple et mieux adaptée aux contraintes du marché, soit on en extrait les données pour les faire traiter par de nouvelles applications.

Bien évidemment, vous vous doutez que ce n’est pas si simple et que cette migration se fait en plusieurs étapes et nécessite moult précautions pour ne pas perturber les activités courantes de l’entreprise. C’est une opération très périlleuse qui nécessite le recours à de nombreux prestataires externes pour pouvoir mener à bien le basculement. Ceci explique le rachat de Red Hat par IBM pour 34 milliards de $ (ils passent d’un modèle économique reposant sur la vente de machines à celui de la vente de prestations intellectuelles) et l’émergence d’une nouvelle catégorie de prestataires informatiques : les acteurs du « go to cloud ».

N’allez pas penser que le cloud est la clé du succès de la refonte d’un SI, car ce n’est en réalité qu’une façon d’y parvenir, une étape parmi d’autres. Je pense ne pas me tromper en disant que nous abordons une nouvelle ère de l’outil informatique qui répond à de nouvelles contraintes (ex : agilité) et va exploiter de nouvelles briques technologiques (ex : intelligences artificielles, blockchain, interfaces naturelles…). Pour faire simple : tout est à revoir. Ceci explique également le montant du rachat de Github par Microsoft, car la firme de Redmond veut être aux premières loges de ce paradigme de l’informatique.

J’insiste sur le fait qu’il y a réellement urgence. D’une part, car les consommateurs et concurrents n’attendent pas, ils avancent à leur propre rythme. D’autre part, car certains collaborateurs n’attendent pas non plus : ils décident d’utiliser leurs propres outils pour pouvoir gagner en souplesse en réactivité. Des outils en ligne qui échappent à tout contrôle de la DSI par le biais d’offres en SaaS, Software as a Service, qui sont sous le radar. C’est ce que l’on appelle le shadow IT : les outils informatiques cachés, ceux que l’on exploite en secret pour ne pas s’attirer les foudres de la DSI, mais qui mettent en péril la sécurité des données, surtout en cette période post-RGPD.

sécurisation des données

Ces deux facteurs combinés, externe et interne, forcent les DSI à accélérer la manoeuvre et concevoir un plan de migration qui soit en phase avec les impératifs du marché tout en respectant les contraintes d’exploitation. C’est un peu comme si vous deviez changer le moteur d’une voiture sans pouvoir l’arrêter ! Pour que cette migration se fasse dans de bonnes conditions, il faut donc passer par une longue phase transitoire où l’on va basculer petit à petit les différentes briques qui composent le SI. Mais pour cela, encore faut-il avoir une vision précise de quelle brique fait quoi et est liée à quelle autre.

Une nécessaire urbanisation pour éviter une catastrophe à grande échelle

Les plus jeunes ne s’en souviennent pas, mais nous avons connu de véritables catastrophes dans les deux décennies passées, notamment des caisses de retraite ou des enseignes de distribution qui se sont retrouvées quasiment paralysées à cause d’un gigantesque couac informatique. Pour éviter ce genre de couac et faciliter la cohabitation des applications historiques avec les applications hébergées dans le cloud, les entreprises procèdent à un chantier d’urbanisation. Ce terme, directement inspiré de l’urbanisme, vise à rationaliser, simplifier et améliorer le fonctionnement du système d’information d’une entreprise. Tout comme une ville va planifier la transformation de certains quartiers pour mieux s’adapter aux nouveaux modes de vie (ex : augmentation du nombre de célibataires, développement de tiers-lieux, disparition progressive des voitures au profit de nouveaux modes de transports partagés…), une entreprise va planifier la refonte de son système d’information, brique par brique.

La première étape de l’urbanisation va consister à recenser les informations et données. Ça n’a l’air de rien, mais vous seriez très surpris de la faible portion d’informations et données qui sont réellement visibles (exploitables) par le SI. La faute aux outils bureautiques qui piègent ces informations et données dans des fichiers qui sont éparpillés dans les disques durs des ordinateurs des uns et des autres. Le but de la manoeuvre est donc d’extraire les informations et données pour pouvoir les rendre disponibles aux autres collaborateurs (faciliter leur circulation) et aux autres applications (créer de la valeur ou de la connaissance).

La deuxième étape consistera à cartographier l’ensemble des applications. Là encore, c’est une tâche plus compliquée qu’elle n’en à l’air, car un SI est composé d’innombrables applications et instances d’application qui ont été bricolées au fil des ans par des collaborateurs ou prestataires qui ne sont plus disponibles pour expliquer ce qu’ils ont fait ou comment ils l’ont fait. Il en résulte un empilement chaotique de couches logicielles où les applications, modules et composants sont imbriqués les uns dans les autres. Un peu comme une tour de Jenga qui risque de s’effondrer à tout moment si l’on retire une simple briquette.

Le fragile équilibre des systèmes d'information

Une fois cette cartographie réalisée, l’entreprise pourra identifier les briques les plus simples ou critiques à renouveler et planifier de façon cohérente les opérations de migration. Le problème est qu’il n’y a pas de vue unique d’un système d’information, c’est un ensemble complexe que l’on peut analyser selon différents filtres :

  • une vue « métier » qui détaille les processus internes ;
  • une vue fonctionnelle qui est calée sur l’organisation (les différents services) ;
  • une vue applicative qui recense les logiciels spécifiques ou génériques ;
  • une vue technique qui liste le matériel sur lequel tournent les applications.

Pour pouvoir procéder à cette analyse multi-couche, il faut interviewer de nombreuses personnes et comprendre les façons de travailler des uns et des autres. Un travail titanesque qui génère beaucoup de tensions, car il expose les dysfonctionnements et exacerbe la peur d’être remplacé (« une fois qu’ils auront compris comment ça marche, ils se passeront de moi« ). Qu’importe, la transformation numérique est en marche et personne ne pourra l’arrêter. Il faut donc mener à bien ce travail d’urbanisme, mais sans oublier un ingrédient essentiel : l’humain.

Une transformation matérielle, logicielle, organisationnelle ET humaine

Certes, l’urbanisation est un chantier informatique, mais qui concerne à la fois les ressources matérielles, logicielles et humaines. C’est un point essentiel à comprendre, car les populations informatiques, et notamment les administrateurs en charge de la maintenance des machines, sont les premiers visés par une migration vers le cloud : un travail de requalification de ces collaborateurs est à prévoir, car une fois la migration achevée, leur connaissance du SI pourrait être mise à contribution pour faire évoluer les applications, c’est la logique du NoOps.

De même, du côté des utilisateurs internes, les besoins de profils hybrides comme les growth hackers ou les BizDevOps sont impérativement à prendre en compte (ex : agilité, réactivité…) pour ne pas mettre en place des outils qui seraient à nouveau inadaptés au rythme imposé par le marché. Il y a donc une nécessaire resynchronisation du SI avec les nouvelles pratiques et notamment les plateformes low-code offrant un maximum d’autonomie aux équipes opérationnelles.

Au final, le système d’information étant au coeur des entreprises, son urbanisation est une étape critique de la transformation digitale, surtout en cette période d’accélération numérique. Il convient de ne pas dissocier l’urbanisation du reste des chantiers de transformation, car le SI est la colonne vertébrale de l’entreprise, celle qui soutient les opérations quotidiennes et qui est censée faciliter l’adoption de nouvelles méthodes de travail et l’adaptation de l’offre aux nouveaux enjeux du marché.