« Apprendre, c’est avoir un projet, c’est se projeter différemment dans l’avenir. »
Philippe Meirieu
Initiée au début de l’année 2018, la réforme de la formation professionnelle a été promulguée par le Président de la République et la ministre du Travail le 5 septembre dernier. Baptisée “Loi pour la Liberté de choisir son avenir professionnel”, elle succède à la loi du 5 mars 2014 qui visait à instaurer le CPF (le Compte Personnel de Formation) et a pour objectif de faciliter l’accès à de nouvelles compétences et apporter plus de lisibilité et de transparence aux offres actuelles de formation. Elle permettra surtout aux salariés et demandeurs d’emploi d’avoir plus de liberté dans l’évolution de leur carrière.
La réforme porte sur la formation professionnelle et l’apprentissage. Elle comprend également des mesures sur l’élargissement de l’assurance chômage, l’égalité hommes-femmes, l’emploi des personnes handicapées, la lutte contre les fraudes au travail détaché… elle couvre donc un champ plus vaste que la formation.
Du DIF au CPF
Les points-clés de cette réforme sont :
- Un CPF qui ne sera plus exprimé en heure, mais en valeur (les heures déjà acquises seront converties à hauteur de 14,28 €/h). Ces 15 € correspondent à la moyenne pondérée des coûts de formation constatés par le ministère du Travail. Le CPF sera crédité de 500 € par an, mais plafonné à 5.000 € au bout de 10 ans.
- Une application mobile sera lancée au second semestre 2019 pour consulter le montant des droits acquis et les formations proposées. Cette application permettra aussi de choisir une formation et de procéder directement au paiement, de même que de laisser des commentaires et des avis sur les formations suivies.
- Le financement de la formation professionnelle se fera selon une contribution unique de 0,55% de la masse salariale pour les entreprises de moins de 11 salariés et 1% pour les entreprises de 11 salariés et plus. Cette contribution sera gérée par la Caisse des dépôts qui se chargera de payer les organismes de formation.
- Le congé individuel de formation (CIF) sera remplacé par le CPF de transition professionnelle, il permettra de demander la prise en charge d’une formation pour pouvoir changer de métier.
- La période de professionnalisation sera remplacée par le dispositif Pro-A qui permettra à un salarié d’effectuer une formation en alternance tout en conservant son CDI et sa rémunération (idéale dans le cadre d’une promotion interne ou d’une reconversion).
- Un renforcement du conseil en évolution professionnelle (CEP), un service gratuit qui permet d’obtenir un accompagnement dans l’élaboration d’un projet professionnel, assuré par cinq opérateurs (Pôle emploi, les missions locales, l’APEC, Cap Emploi et les FONGECIF / OPACIF).
- La certification obligatoire des organismes de formation avec des critères de qualité fixés par décret. Ceci donnera lieu à la création de l’agence « France Compétences » grâce à la fusion de plusieurs organismes (COPANEF, CNEFOP et FPSPP) pour contrôler la qualité et le coût des formations.
- La mise en place de plusieurs aides pour les jeunes apprentis, de même que l’extension des contrats d’apprentissage jusqu’à 29 ans (auparavant c’était jusqu’à 25 ans).
- La mise en place de moyens supplémentaires pour encourager la mobilité internationale des apprentis et des alternants (simplification de la procédure et aides financières).
Comme vous pouvez le constater, cette réforme est ambitieuse, mais elle est à l’image des défis imposés par l’accélération numérique et plus généralement la mutation de l’environnement professionnel (quatrième révolution industrielle).
Une responsabilisation des salariés dans l’évolution de leur carrière
Si l’on récapitule, les bénéfices de cette réforme sont nombreux, à la fois pour les salariés et les entreprises. Concernant les salariés, l’idée est de leur fournir une meilleure lisibilité de ce qu’ils peuvent investir en formation et un accès simplifié à une offre de formation plus diversifiée et modulaire (par exemple, la possibilité de valider des blocs d’un parcours pédagogique et pas seulement un diplôme). Cette reprise en main permettra de responsabiliser les salariés dans l’évolution de leurs compétences et notamment leur montée en compétences numériques.
À ce sujet, les salariés vont pouvoir combler leur dette numérique selon différentes approches, plus ou moins intensives :
- Procéder à une reconversion complète avec une formation longue (en passant par un projet de transition professionnelle) ;
- Réorienter sa carrière vers le numérique avec l’acquisition d’un ensemble de compétences en alternance et même de spécialisations comme la data ou le mobile (en ayant recours au dispositif pro-A) ;
- Compléter ses acquis grâce à un “vernis numérique » sans perturber son quotidien (les MOOCs s’imposent comme la solution la plus pragmatique).
Ces trois approches ne sont pas classées par ordre de préférence, elles correspondent simplement à trois contextes différents pour les salariés. Encore une fois, l’un des objectifs principaux de la réforme est de simplifier et d’assouplir la formation professionnelle.
Les enjeux de la réforme vis-à-vis de l’accélération numérique
Comme précisé en début d’article, la réforme de la formation professionnelle est vaste, car elle répond à de nombreux enjeux :
- Sécuriser l’employabilité des salariés et maintenir la compétitivité des entreprises (ceci s’applique particulièrement aux défis imposés par le numérique) ;
- Accompagner les transitions professionnelles et les individus tout au long de leur carrière professionnelle (là encore, le numérique étant un domaine en perpétuelle évolution, cette réforme est la bienvenue) ;
- Développer l’alternance et l’apprentissage (des formats tout à fait adaptés à la granularité des sujets liés au numérique) ;
- Adapter les certifications professionnelles au regard des mutations du travail (valider les acquis au fur et à mesure de la montée en compétences numériques) ;
- S’aligner sur les meilleures pratiques européennes (Réforme de la formation professionnelle : que font les autres pays européens ?).
Avec cette réforme, la France pose les bases d’une nouvelle approche de la formation professionnelle continue et tente de réunir les conditions pour développer des outils pédagogiques plus performants.
L’entreprise continuera de jouer un rôle-clé dans l’évolution des carrières
Toutes ces mesures visant à donner plus d’autonomie aux salariés vont avoir un impact sur le rôle joué par les employeurs. Jusqu’à présent, les entreprises avaient la responsabilité de proposer à leurs employés un panel de formations, généralement issues d’un catalogue fourni par de gros organismes spécialisés dans la formation « de masse ». Avec la réforme, chaque salarié sera libre de choisir ses propres formations, les entreprises devront donc guider leurs collaborateurs dans leur projet d’évolution de carrière professionnelle : identification des axes pédagogiques les plus pertinents en fonction du profil et des aspirations, aide à la reconversion (choix du dispositif le plus adapté), planification de la montée en compétence…
Il y aura d’une part, un accompagnement beaucoup plus prononcé ; et d’autre part, le co-financement des actions de formation. N’oublions pas qu’en France, peu de salariés sont prêts à payer leur formation, même en cofinancement (soit par manque de moyens, soit par principe). De ce point de vue là, les entreprises auront toujours un rôle à jouer dans l’évolution des carrières. Face à l’accélération numérique, gageons qu’elles choisissent d’investir dans le renouvellement des compétences en s’appuyant sur les actifs (cf. Formez vos salariés, ils risquent de partir. Ne les formez pas, ils risquent de rester !), et non d’espérer que la dette numérique va se résorber d’elle-même avec l’embauche de nouveaux collaborateurs (cf. Les millennials vont-ils sauver les grandes entreprises ?).