Le Flex Office rend-t-il les collaborateurs heureux ?

« Choisissez votre entreprise comme vous choisissez votre conjoint. Après tout, vous passerez autant de temps avec le premier qu’avec le second ».
Ravi Kapilavai

Le contexte d’accélération numérique a un impact sur de nombreux pans de l’entreprise : la culture, les compétences, le management, les outils… mais tout cela ne doit pas faire oublier une partie centrale de la vie de vos collaborateurs : les bureaux !

À nouvelle organisation, nouveaux modes de fonctionnement. Certaines entreprises se sont ainsi inspirées des grands de la Silicon Valley en développant des espaces de travail « à la Facebook ou à la Google ». Pour en avoir visité plusieurs, les résultats sont assez mitigés : il semble que certains n’aient compris que de petites bribes de ce qui fait le succès des GAFAs et de la logique d’expérience collaborateur qui y est liée.

Si l’on veut briller aujourd’hui comme une entreprise innovante, il faut être en « Flex Office ». Le Flex Office est l’absence d’attribution d’un poste de travail précis à un salarié. Celui-ci peut ainsi travailler depuis l’espace le plus adapté à sa mission : un bureau libre dans sa propre entreprise, un espace de réunion, une salle de coworking, un café, de chez lui… On semble ainsi signer la mort des open-spaces et leur logique parfois violente (lire : l’Open Space m’a tuer), qui remplaçaient eux-mêmes les cubicles, ces petits bureaux à cloisons.

Mais quelle approche de Flex Office faut-il avoir ? Je ferai tout d’abord un parallèle entre la philosophie derrière le Flex Office, et la logique d’holacratie, fondée sur la mise en œuvre formalisée de l’intelligence collective, et qui part de l’idée que l’on peut tout simplement supprimer les managers de l’équation. Car dans les 2 cas, la mise en place unilatérale est compliquée du fait que les collaborateurs ne sont pas tous (et heureusement), des copiés-collés aux mêmes aspirations.

Au sujet de l’holacratie, la société Zappos aux États-Unis qui avait généré beaucoup de retombées en annonçant la mise en place de cette organisation, mais en est finalement revenue. En effet, tout manager peut observer dans ses équipes différents profils : certains très autonomes n’ont pas vraiment besoin d’être managés. Ils ont parfois besoin d’être guidés, mais pas forcément par celui (ou celle) qui a le plus d’ancienneté, mais simplement par celui qui a le plus d’expérience sur un sujet donné. Mais certaines personnes ont besoin d’être accompagnées : elles excellent sur base d’un cadre qui leur est donné, ont besoin de faire régulièrement des points pour valider qu’elles vont dans la même direction. Cela ne veut pas dire qu’elles sont moins efficaces. Elles sont juste différentes.

Concernant les bureaux : je me souviens d’un échange avec une jeune cadre dans une grande entreprise de la Défense. Elle avait son espace clos personnel, a priori confortable, mais pourtant elle avait énormément de mal à y travailler. Pourquoi ? Car elle avait passé ses études à travailler allongée sur son lit, et elle n’arrivait pas à être productive dans l’environnement qu’on voulait lui imposer. La logique de Flex Office irait ainsi plus dans son sens, mais elle fait fi des personnes qui aiment elles avoir leur espace personnel de travail. Et c’est là notamment à mon sens que se situe le problème : tout comme pour l’Holacratie, on essaie souvent avec le Flex Office d’imposer une seule et unique logique aux collaborateurs, sans leur laisser le choix. Pourtant, c’est la diversité d’une entreprise qui fait sa richesse, pas une voix unique, même si elle peut sembler plus « agile » à première vue.

Je ne dis pourtant pas que le Flex Office n’a que des défauts. Il permet de supprimer le côté statutaire des bureaux des managers, il favorise (a priori) le décloisonnement… Mais cela ne convainc pas les quelques 68% de Français qui déclaraient en 2018, selon OpinionWay, être contre le Flex Office. Ceux-ci mentionnent dans leurs réticences la déshumanisation du lieu de travail, et le sentiment d’être interchangeable.

Sur la déshumanisation, difficile de leur donner totalement tort, quand on voit certains « Flex Office » aux murs intégralement blancs, aux salles de réunion aux noms de type « XYZ23R »… Les gens se parlent moins aussi, pour ne déranger leurs voisins d’un jour. Et même si les managers jouent le jeu du Flex, cela ne les rend pas toujours accessibles comme le relate Challenges : « À Engie, Isabelle Kocher [la Directrice Générale] est en mode Flex – mais personne n’ose aller dans sa zone », ironise un cadre.

Il semble que le succès du Flex Office soit d’abord une question d’intention première de l’entreprise : fait-on cela pour le bien-être des collaborateurs, pour celui du business, pour optimiser les coûts (optimisation des mètres carrés), parce que c’est la mode ?

J’ai eu la chance de visiter il y a quelques semaines les bureaux du siège européen de Poly à Amsterdam (fusion de Plantronics et Polycom) qui a développé une approche de « Smarter Working« .

Parce que Poly (via Plantronics) est d’abord une entreprise spécialisée dans le son, la société utilise des systèmes et des matériaux très aboutis de réduction des nuisances sonores, permettant d’amenuiser le stress et la fatigue liés à notre vie professionnelle. Ils ont aussi travaillé sur les salles de réunion, pour s’assurer qu’elles soient utiles et agréables, et qu’elles respectent parfaitement la confidentialité des échanges.

En effet, Poly m’expliquait lors de la visite qu’il suffisait d’un collaborateur qui passe à côté d’une salle de réunion et qui ait la capacité d’entendre ce qu’il se passe, pour que des dizaines d’employés décident au final de ne pas utiliser cette salle, perçue comme pas assez « sécurisée ». Une simple mauvaise gestion de ce point implique une perte d’exploitation de précieux mètres carrés, pour des raisons qui peuvent être adressées.

Poly voit également ses bureaux comme une partie d’un écosystème. Le siège d’Amsterdam est ainsi relié aux autres bâtiments autour, afin d’optimiser l’utilisation des ressources, et permettre de maximiser la logique d’économie circulaire. Cette logique est aussi utilisée dans les matériaux utilisés pour la construction du siège, puisqu’ils sont tous soit produits à partir de matériel recyclé, soit ils sont garantis comme recyclables eux-mêmes. Les murs, sols… ne sont ainsi pas une finalité, mais le maillon d’une chaîne qui doit aller le plus loin possible.

Un effort particulier est mené pour maximiser l’expérience des collaborateurs : ces derniers sont interrogés en amont de tout changement, et en aval pour vérifier que la mise en place est validée. Le matériel est souvent challengé (grands écrans d’ordinateurs, chaises, bureaux) afin de s’assurer que le bien-être est toujours à son maximum. Le ROI n’est pas calculé à court terme, mais sur la durée.

Et le résultat pour Poly est un turn-over très faible, une hausse de la productivité, et un haut niveau de bonheur, qui est mesuré régulièrement.

En conclusion, la philosophie et les intentions derrière un Flex Office comptent autant que les espaces qui vont être aménagés : une erreur d’appréciation et on se retrouve avec des bureaux sans âme, qui accélèrent plutôt le turn-over et dégradent l’expérience collaborateur.