« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres »
Antonio Gramsci
Nous savons rétrospectivement nommer les époques, les grands courants, mais pas nécessairement les interpréter ou les nommer quand nous les vivons. Personne n’a l’impression de faire partie de l’Histoire, d’être dans un mouvement, un courant. Nous vivons exclusivement le présent, et les évolutions même rapides de la société et des sociétés sont imperceptibles, de par cet effet d’échelle, de ce manque de recul. Il en est de même pour les transitions entre les périodes historiques et les époques : quand basculons-nous ? Quand changeons-nous d’ère ? Est-ce que la précédente meure ? Disparait-elle vraiment ?
Prenons l’exemple du « Moyen-Âge » qui fut inventé a posteriori par Flavio Biondo de Forlì et qui s’est terminée (c’est un des marqueurs temporels accepté) avec Gutenberg et la mise au point de la presse à vis vers 1450. C’est cette invention qui marque le début de la Renaissance, période qui se termine selon les historiens à la mort de Galilée en 1642. C’est une période majeure durant laquelle on redécouvre le monde, la communication, les grands mouvements intellectuels, les sciences et l’humanisme. La période que nous vivons ne sera peut être jamais nommée mais elle ressemble en de nombreux points à une nouvelle période de Renaissance. Ce que nous vivons n’a pas encore de nom, nous sommes dans l’œil du cyclone, quelques révolutions émaillent la période (télécommunication, informatique, Internet) mais elles sont loin d’être toutes arrivées. Chaque jour qui passe, nous nous rapprochons de la « Troisième Révolution industrielle », telle que popularisée par Jeremy Rifkin.
L’ère de la transformation digitale ?
Nous transformons le monde et l’entreprise en repensant les bases du travailler ensemble et en redécouvrant ce que nous avions oublié au profit de l’organisation « scientifique » du travail : définition, délimitation et séquençage des tâches. Nous profitons des changements induits par le digital pour replacer l’humain dans l’environnement et dans les usages. Comme à la Renaissance, notre vision du monde change. Mais ce ne sont plus les états et les religions qui sont les super puissances qui dictent leurs dogmes et leurs cultures, mais les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi), et les consommateurs. Nous sommes déjà dans une nouvelle ère.
Comment s’inspirer de ces changements pour repenser l’entreprise ?
Comme à la Renaissance, le savoir est déjà là et il faut le redécouvrir. Les entreprises fourmillent d’experts du digital mais le savoir et la connaissance ne sont pas disponibles pour tous, parce qu’ils sont peu partagés. L’entreprise doit réeinventer sa culture en profitant des savoirs académiques des collaborateurs. L’apprentissage et l’éducation de cette nouvelle culture doivent être des priorités pour l’émancipation et la performance de l’entreprise. Ce que la chenille appelle la mort, le papillon l’appelle renaissance : Majores pennas nido « déployer les ailes plus grandes que le nid dont on est parti ».
Votre monde change, vous vous adaptez et vous ne savez pas pourquoi ni comment : c’est imperceptible au quotidien, mais vous savez pourtant que c’est inéluctable. Dans cette phase de transition et d’incertitude, vous n’avez pas besoin de bonnes raisons pour changer, ni de bons prétextes : c’est l’évolution naturelle. Plus de questions à se poser, mais des actions concrètes à mettre en œuvre. Ne soyez pas attentistes et accompagnez le changement, vous ne le ralentirez pas et vous le subirez si vous n’en êtes pas maître.
Passer des formateurs au réformateurs
Arrêtez d’attendre que cette culture digitale entre seule dans l’organisation, les formateurs sont nécessaires pour la mise à niveau mais ce sont des réformateurs dont l’entreprise a besoin pour aller plus loin. Si les formateurs vous indiquent comment faire, c’est bien les forces en puissance internes qui doivent donner le sens et le pourquoi. Il faut aller au-delà du « passeport numérique » qui n’a jamais permis de passer aucune frontière, et donner envie de naviguer au large, ensemble : Docendo discitur « On apprend en enseignant ».*
Passer de l’exploitation à l’exploration
Ne formez pas vos collaborateurs à être des employés, faites les grandir et faites-en des explorateurs qui mettent leurs savoirs et leurs compétences au service de la mission commune : Sic itur ad astra « c’est ainsi que l’on s’élève vers les étoiles » **
Passer de l’innovation à la rénovation
Arrêtez de vouloir faire différemment, de faire plus : faites mieux. Alignez vos actions et intentions avec les demandes et l’époque. Avancez et rénovez, votre culture comme votre environnement. Ducunt Volentum fata, Nolentem trahunt « Le destin porte ceux qui l’acceptent, lynchent ceux qui le refusent » ***
*Attribué à Sénèque
**Virgile, tirée du vers 641 du chant IX de l’Énéide.
***Sénèque, Lettres à Lucilius, exprime le point de vue stoïcien que le destin (fatum) est inexorable.