« Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien. »
Socrate
La transformation digitale est un sujet dont on parle depuis quelques années, mais si certaines entreprises ont su initier des chantiers de transformation d’envergure, la transformation en elle-même est loin d’être achevée, car l’accélération numérique impose régulièrement de nouveaux défis auxquels il faut faire face (ex : intelligence artificielle, RGPD, perte de confiance… cf. De l’uberisation à l’accélération numérique). La réponse à ces nouveaux défis peut-être technique, algorithmique, mais elle est avant tout humaine, car ce sont les collaborateurs, les managers et la direction qui doivent porter les chantiers de transformation : il faut en comprendre les enjeux et surtout définir une feuille de route de transformation ambitieuse et cohérente pour ne pas aggraver la dette numérique.
Si nous sommes tous d’accord pour dire que la transformation touche tous les métiers de l’entreprise, certains sont plus impactés, et plus spécifiquement les Ressources Humaines qui doivent faire face au double défi du renouvellement des actifs (les baby boomers laissant la place aux générations Y et Z) ainsi que de l’évolution des méthodes de travail et des mentalités pour s’adapter à la réalité de l’environnement concurrentiel façonné par le numérique. Une adaptation nécessaire qui concerne également l’ensemble des métiers internes de l’entreprise.
Ce à quoi vous pourriez me répondre : « Soit, formons nos équipes au numérique et remettons-nous au travail ». Malheureusement, la transformation digitale ne se résume pas à quelques sessions de formation. Pour vous donner une meilleure image, c’est comme si je vous disais que pour diversifier les revenus et internationaliser la clientèle, il suffisait à vos équipes de prendre quelques cours de mandarin… Conquérir le marché chinois est un axe de développement très complexe et périlleux, un véritable projet d’entreprise que l’on ne peut décemment pas aborder en quelques heures de formation. Il en va de même pour la transformation digitale : elle ne peut pas se faire uniquement grâce aux solutions de formation traditionnelles.
Le problème est que les usages et supports numériques sont en constante évolution depuis 20 ans. Combler sa dette numérique ne veut pas dire se mettre à niveau sur les tout derniers usages ou la toute dernière technologie, mais plutôt comprendre deux décennies d’évolution des attentes et habitudes des consommateurs ainsi que de perfectionnement des leviers compétitifs de la concurrence. Tout comme Rome ne s’est pas faite en un jour, les GAFA n’ont pas bâti leur empire en quelques mois : c’est plutôt la résultante de dizaines de milliards de dollars d’investissement et du travail acharné des meilleurs cerveaux de la planète.
La difficulté à laquelle sont confrontées les entreprises et organisations est que le fossé numérique est devenu gigantesque : pour pouvoir se mettre à niveau sur tout ce qui touche au numérique, il faut assimiler une somme conséquente de savoirs et pratiques, il faut pouvoir appréhender des sujets très complexes, voire polémiques (ex : intelligence artificielle, automatisation) et avoir développé les compétences humaines nécessaires pour opérer une transition en douceur tout en gardant une bonne réactivité (soft skills). Autant de défis qu’il est absolument impossible de relever en un séminaire de deux jours, le format généralement choisi par les entreprises pour motiver les troupes et initier les chantiers.
Là encore, vous pourriez me répondre que le meilleur moyen de relever ce défi est d’étaler dans le temps les actions de formation. Effectivement, c’est l’approche qui a visiblement été choisie par de nombreuses entreprises comme le démontre la dernière étude de l’INSEE : la part des salariés ayant reçu une formation est passée de 17% à 43,5% entre 1974 et 2014. Mais dans le même temps, la durée moyenne annuelle de ces formations est passée de 62 à 27 heures (Formation continue et parcours professionnels : le regard de l’Insee). Traduction : on forme plus, mais moins longtemps. Cette pratique de formation a un nom : le « just in-time learning« , une approche court-termiste qui permet effectivement de se mettre à niveau (ex : la dernière version de Photoshop, Office 365, Google Analytics…) ou de survoler différents sujets (ex : agilité, design thinking, inbound marketing…) sans réellement s’inscrire dans une logique pédagogique, et encore moins dans une démarche structurée de transformation digitale (ex : quid de la plateformisation de l’économie ?). En synthèse : on déploie des moyens, mais on ne progresse pas réellement. Et le pire dans tout ça est que nous ne sommes pas à périmètre constant : il faut constamment se mettre à jour sur les nouveaux usages et innovations, sinon la dette numérique se creuse à nouveau !
Ces « piqûres de rappel numériques » brouillent notre appréhension de la situation, car il y a une véritable urgence : d’après un récent rapport international, les salariés français sont en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE pour les usages numériques ainsi que pour la formation aux NTIC : L’avenir du travail, perspectives de l’emploi. Si la situation est aussi préoccupante, c’est que ce retard survient au pire moment : en pleine quatrième révolution industrielle. Pour pallier à ce retard, la conclusion du rapport est équivoque : L’OCDE prône l’apprentissage tout au long de la vie pour réduire la fracture numérique.
Au-delà du principe de « life-long learning« , ce que recommande l’OCDE est d’aider les individus et salariés à adopter une posture d’apprentissage continu et d’autonomisation, c’est-à-dire d’apprendre à apprendre : ne pas se contenter de choisir des modules dans un catalogue et de profiter des deux ou trois jours de formation conventionnée pour s’éloigner d’un quotidien stressant, mais prendre son destin professionnel en main à travers une dynamique beaucoup plus volontaire d’acquisition de nouvelles compétences dans et en dehors du cadre de l’entreprise. Là où la France fait figure de mauvais élève, c’est que la transition numérique n’est pas un phénomène nouveau : 40% des emplois créés entre 2005 et 2016 étaient liés au numérique. Nous l’avons vu venir, nous aurions dû en tenir compte et adapter en conséquence la politique RH pour faciliter l’instauration d’une doctrine d’entreprise apprenante.
Nous savons que les formules incantatoires ne fonctionnent pas, même répétées à l’infini. Pour pouvoir faire évoluer les mentalités et pratiques de formation, il faut à la fois une impulsion forte (émanent de la direction) et un accompagnement dans la durée. C’est d’ailleurs dans ce cadre que des postes de Chief Learning Officer sont créés : pour endosser le rôle d’architecte ou de chef d’orchestre de la montée en compétences numériques de l’entreprise.
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En synthèse : la transformation digitale est un chantier d’envergure qui ne se résume pas à la création d’une boutique en ligne ou au basculement des applications métier dans le cloud. C’est un processus qui s’inscrit dans la durée et nécessite une forte montée en compétences, une remise à plat de l’organisation interne et des habitudes de travail, ainsi que l’évolution des mentalités pour définitivement tourner la page du XXe siècle. Tous ces chantiers nécessitent un programme de transformation d’envergure associé à une réelle ambition pédagogique : celle de l’autonomisation des collaborateurs. Une autonomie qui passera nécessairement par de l’apprentissage continu.