« Les livres, c’était mon Internet d’avant ».
Carlo Purassanta
Cet article constitue mon troisième entretien avec Microsoft France : j’ai pu échanger sur l’accélération numérique avec son Directeur Marketing, Sébastien Imbert, puis sur l’intelligence numérique et l’inclusion avec la COO Laurence Lafont, et j’ai ici eu l’opportunité de m’entretenir avec Carlo Purassanta, son Président.
L’ambition derrière cette rencontre était de mieux comprendre les motivations personnelles d’un dirigeant d’une des grandes entreprises du numérique. Il a aimablement accepté de partager un peu de son histoire, et de sa vision pour le futur.
Passé – culture du changement et littérature
Son accent le trahira, Carlo Purassanta est italien. Son père, originaire d’Italie du Nord (une région où les personnes sont austères, honnêtes et travailleuses), est amené à beaucoup bouger pour son travail. Carlo se retrouve ainsi régulièrement déraciné, changeant tous les deux ans de classe, puis « re-raciné ». Cette vie fait de lui un être introverti et un peu solitaire, tout en ayant à l’opposé une capacité sociale très forte, lui venant probablement de sa mère, originaire de Rome, et qui apprend à Carlo « qu’il n’y a jamais de mal à poser une question à quelqu’un ». Cela génère aussi chez lui une capacité à comprendre les gens qui pensent différemment, et développe un appétit pour le changement et la transformation.
A l’adolescence, il se plonge dans la littérature et les journaux économiques : il apprécie tout ce qui est lié à la fantaisie, à l’imaginaire, expliquant que « les livres, c’était mon Internet d’avant ». Il apprécie particulièrement Italo Calvino (Le Baron Perché, Le Vicomte Pourfendu). Ce dernier est d’ailleurs invité en 1984 par Harvard pour donner des cours, et il décide notamment de « faire un cadeau au prochain millénaire » en écrivant ses cinq « leçons américaines » : légèreté, rapidité, exactitude, visibilité et multiplicité. Cette façon de plonger dans les racines de la littérature pour se projeter dans le futur, de faire sortir le meilleur du passé, de créer des valeurs… inspire grandement Carlo Purassanta.
Ces lectures suscitent chez lui un intérêt pour les personnes capables de faire des choses exceptionnelles. À la même époque, l’Italie, et notamment Milan, sont en plein boom. Il s’y développe des marques connues dans le monde entier (Campari), la volonté entrepreneuriale y est très forte. Cela l’inspire aussi.
Présent – innovation responsable et culture européenne
A la lumière de ces éléments, Carlo Purassanta comprend ce qu’il veut faire : arriver dans un endroit qu’il ne connait pas, absorber le passé, créer une vision et donner envie de croire à cette vision. Une façon pour lui de créer ce que Milan Kundera appelle la « petite immortalité ».
Il a aussi besoin de changements, et voit dans l’innovation et la technologie un secteur parfaitement adapté à cela, et qui contribue désormais à la 4ème révolution industrielle. Il s’investit alors d’abord chez IBM, mais est marqué par une étude de l’institut Forrester en 2008 qui explique que les entreprises qui gagneront feront de la technologie pour les consommateurs ET les entreprises. Fin 2010, après avoir tiré la conclusion qu’il n’adhérait plus au modèle économique d’IBM, il rejoint Microsoft.
A cette époque, Microsoft amorce sa transformation. Nous sommes aux prémices d’Azure, d’Office 365… et Carlo Purassanta trouve remarquable cette entreprise qui essaie de faire les choses différemment. Cette transformation est alors initiée par Steve Ballmer, et sera complété par le CEO actuel, Satya Nadella. Microsoft s’affirme alors en tant qu’entreprise qui a envie de changer le monde, qui met l’innovation à la portée de tous et qui est aussi un acteur social.
Lors de l’entretien, je ferais remarquer à Carlo P. que l’image historique de Microsoft me semblait loin de ce positionnement, ayant grandi notamment avec du Windows pré-installé sur toutes les machines et des attaques régulières concernant la position dominante de l’entreprise. Pourtant, pour Carlo P., les origines de Microsoft sont bien en phase avec son positionnement actuel : installer un ordinateur dans chaque bureau et chaque maison, se positionner comme une sorte de Robin des Bois informatique. L’erreur de l’époque a probablement été de vouloir instaurer un système trop fermé, mais ce n’est plus le cas, avec la mise en place d’un puissance écosystème de partenaires.
Désormais, Microsoft voit l’informatique comme un accélérateur de développement économique local. Microsoft n’essaie pas d’être « cool », mais travaille à rendre les autres « cool ». L’entreprise veut faire du business avec des principes : éthique, respect des droits de l’Homme, accessibilité… Toutes les actions passent désormais par ce filtre. Microsoft se met en opposition aux autres géants de la technologie, en devenant « les COGs de la transformation économique d’un pays » (COGs ou Costs of Goods, soit le prix de revient, en opposition à une rémunération sur « les profits du monde » opérée par ses concurrents).
Concernant l’innovation : va-t-elle trop vite ? Pour Carlo Purassanta, ce sujet est propre à chacun. Un fan de technologie comme l’auteur de cet article peut trouver que c’est trop lent, là où la majorité des personnes vont être inquiètes de la vitesse de l’innovation. Mais le sujet relève plus de la responsabilité du marché à donner des messages positifs sur l’innovation technologique, afin d’éviter une paralysie technologique des entreprises et du pays. Fuyez donc les marchands de cauchemars et choisissez des partenaires / conférenciers / consultants axés business et réalisme. Faites partie de ceux qui comprennent les concepts digitaux et qui vont conquérir les 50 prochaines années, plutôt que ceux qui sont terrorisés par la perte de leur emploi actuel.
Concernant l’intelligence artificielle (à laquelle Microsoft France préfère le terme « intelligence numérique »), Carlo Purassanta remarque par exemple qu’elle est déjà utilisée dans des secteurs où cela ne semble gêner personne. Ainsi, la gestion du trafic aérien n’est déjà plus géré par des humains. Le sujet est aussi culturel, puisqu’en Chine, les habitants vont préférer qu’une tâche leur soit donnée par une machine, qu’ils jugent plus sûre.
Concernant la France, Carlo Purassanta pose un regard admiratif teinté de réalisme : d’un côté, il salue l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, l’ambition d’un petit pays à l’échelle du monde qui a longtemps eu une vision et une ambition mondiale, tout en essayant de faire vivre la notion d’égalité, qui est au coeur des valeurs républicaines. De l’autre, il note des problèmes culturels, qui débutent dès l’école. La France a ainsi mis en place un concept très élitiste de l’éducation, un système qui est loin d’être égalitaire, reposant sur le classement et la compétition. Ce système crée une frustration que l’on retrouve en entreprise, une crainte à la collaboration et une appréhension du jugement des autres. Les individus ne sont ainsi pas formés à travailler de façon moderne, ils ont du mal à collaborer car ils ont depuis toujours été mis en compétition, et ils se retrouvent enfermés dans le concept de hiérarchie (la France étant l’un des pays les plus hiérarchiques au monde) et ont ainsi du mal à capter les opportunités du futur.
Il est donc essentiel d’apprendre à apprendre, à collaborer, à casser la pyramide des âges et à favoriser la transversalité. Cela assainira le marché, le rendant plus vivace, à l’image des Etats-Unis où entre 1950 et 2015, le Fortune 500 a été renouvelé à 90% !
Futur – transport intelligent et interopérabilité
Carlo Purassanta envisage le futur à travers une « innovation pour un monde souhaitable ». Ce dernier est lié aux choix des entreprises avec lesquelles on souhaite commercer, à l’organisation hégémonique ou non que l’on peut accepter. Choisir une entreprise va être désormais influencé par des considérations sociales, sociétales, environnementales… Les jeunes générations sont très conscientes de cela, et les plus anciennes commencent à être sensibilisées.
Si l’on regarde par exemple le trafic automobile actuellement à Paris, avec le nombre de voies réduites, avec des personnes qui souffrent parce qu’elles passent trop de temps dans leurs véhicules, coincées dans les bouchons… on peut facilement imaginer l’apport d’une intelligence numérique qui viendra optimiser l’ensemble des déplacements et gérer le trafic. Et surtout, au sein de voitures autonomes, les personnes pourront lire, travailler, et avoir une meilleure qualité de vie.
Cette recette pour le transport du futur peut connaître trois approches :
- l’approche américaine avec une superpuissance économique qui a les moyens et l’ambition pour conquérir le monde (celle de toutes les Big Tech hors Microsoft) ;
- l’approche Chinoise où l’Etat choisit un champion national, qu’il finance et institue par la loi ;
- l’approche européenne, plus fragmentée, entre compromis et pluralité.
Aucune entreprise ne peut vraiment s’imposer au niveau mondial, les entreprises doivent donc collaborer. En France sur le sujet du transport par exemple, nous avons tous les acteurs pour fabriquer le futur : SNCF (Keolis), Transdev, Renault Nissan, Michelin, Valeo, Faurecia… Mais pour que cela arrive, ces acteurs doivent travailler ensemble, partager leurs données et assurer l’interopérabilité des systèmes.
Carlo Purassanta, pourtant au sein d’une entreprise américaine, fait le choix de l’Europe et de sa multiplicité. En tant que cabinet qui accompagne les grandes entreprises implantées en France, SYSK se range à cet avis !