Faire mieux ou disparaitre : disruption et hyper-concurrence avec le cas Huawei

« L’évolution ne connait pas la marche arrière. »
Boris Cyrulnik

Une nouvelle décennie démarre avec son lot de nouveaux enjeux et incertitudes, car c’est bien la réalité du monde dans lequel nous vivons : un environnement volatile, complexe, ambigu et incertain. Il existe néanmoins une constante : le changement. Nous avons déjà eu l’occasion d’expliquer que la destruction créatrice est un phénomène contre lequel vous ne pouvez pas lutter, l’évolution est donc naturelle et permanente, surtout dans ce contexte de révolution numérique. Il est ainsi important de rappeler à ce stade que la transformation digitale accélère la quatrième révolution industrielle : avec la généralisation des smartphones et des plateformes, les entreprises sont obligées de toujours faire mieux pour pouvoir s’aligner sur le rythme d’évolution du marché. Une injonction qui va se faire de plus en plus pressante, car la transformation numérique entre dans une phase exponentielle.

Pour se différencier, les marques ont le choix d’exploiter différents leviers : l’innovation (Tesla, Dyson, Bosch…), le design (Apple, Citroën DS…), les pratiques de management (Zappos, Automattic, BlaBlaCar…) ou encore les prix bas (EasyJet, Free, Dacia…). La dure réalité du 21e siècle est que nous sommes dans un jeu à somme nulle : en l’absence de croissance, pour gagner des parts de marché, il faut les prendre à un concurrent.

Avec l’avènement de la startup nation, du financement participatif, des micro-marques… la pression concurrentielle n’a jamais été aussi forte pour les entreprises qui n’ont d’autre choix que de se surpasser pour survivre (fin des rentes de situation). C’est dans ce contexte que j’ai été amené à rencontrer les équipes de R&D de Huawei. Méconnue du grand public il y a 10 ans, cette marque a défrayé la chronique l’année dernière en se retrouvant au coeur du conflit économique qui oppose les USA et la Chine. La tempête médiatique / économique qui a frappé Huawei n’est pas due au hasard, mais à une croissance insolente sur un segment de marché que l’on croyait saturé : les smartphones. Il était en effet difficile de s’imaginer qu’en à peine 10 ans, cette entreprise chinoise allait réussir l’exploit de venir bousculer les leaders du secteur (Samsung et Apple) là où deux géants du numérique ont échoué (Microsoft et Amazon qui sont officiellement sortis du marché du smartphone).

Huawei est une entreprise fascinante à plus d’un titre : elle impressionne par sa taille (près de 200.000 employés), par son activité (plus de 120 MM$ de C.A.), par sa puissance industrielle, mais surtout par son ambition : devenir l’entreprise leader des télécommunications, à la fois sur le volet professionnel (équipements) et personnel (smartphones et objets connectés). Pour y parvenir, l’entreprise s’est dotée de moyens colossaux, à la hauteur de ses objectifs et de l’intensité concurrentielle du secteur (d’autres fabricants chinois comme Xiaomi ou OnePlus se révèlent être redoutablement efficaces).

Une success story qui fait des envieux, mais surtout un cas d’école pour toutes les entreprises qui espèrent survivre à la prochaine décennie : dans une économie qui stagne avec une concurrence acharnée, un contexte de marché qui est maintenant la norme, le seul moyen de prospérer est de faire mieux que les autres, et ceux qui perdent du terrain sont condamnés à disparaitre. Plus facile à dire qu’à faire, surtout dans un segment aussi convoité que celui des smartphones. Pour réussir à s’imposer, Huawei a donc dû investir lourdement pour développer à la fois un leadership technologique, mais aussi esthétique.

J’ai ainsi eu l’occasion de visiter récemment le Aesthetic Research Center de Paris. Créé il y a 5 ans (Huawei inaugure son centre de design parisien), ce centre participe de façon active à la construction de l’identité visuelle de la marque. Ceci passe par un intense travail de recherche sur les aspirations des consommateurs, les tendances en matière d’esthétisme (couleurs, formes, textures…) ou d’architecture (notamment pour le futur showroom parisien), ainsi que le design des futurs modèles de smartphones (ils gèrent quatre lancements par an, tandis qu’un autre centre en Suède s’occupe de la partie interface utilisateur).

La visite de ce centre et l’accès aux différents documents de travail permettent de mesurer l’engagement de la marque pour atteindre ses objectifs. La mission qui a été confiée aux équipes est ainsi de « construire un monde connecté et intelligent ». Une mission très vaste, mais pas nécessairement démesurée dans la mesure où les produits de Huawei permettent de connecter 1/3 de la population mondiale ! Une mission qui se traduit par tous les travaux de recherche sur les produits, mais également sur les évènements organisés (les grandes annonces sont faites à Paris) et sur des aspects moins tangibles comme la signature sonore (Celia, l’assistant vocal de Huawei, débarque l’année prochaine en France) ou plus généralement l’expérience de marque.

Dans un tout autre domaine, l’entreprise a également beaucoup investi en France pour développer son savoir-faire technologique : Huawei ouvre un cinquième centre de recherche en France. J’ai eu l’opportunité de visiter l’un des deux centres de recherche en mathématiques (l’autre étant à Moscou) qui mobilise une centaine de chercheurs. Et là encore, c’est l’ambition de l’entreprise chinoise qui impressionne, car ils ne font pas de la recherche appliquée, mais de la recherche fondamentale pour pouvoir repousser les limites physiques de l’existant, notamment en ce qui concerne la transmission ou la compression des données. L’équipe de recherche a la lourde tâche de faire des avancées scientifiques dans des domaines comme l’intelligence artificielle ou l’informatique quantique.

Les travaux de recherche fondamentale doivent permettre de développer de nouveaux concepts mathématiques, traduits ensuite en algorithmes (recherche appliquée), puis en composants matériels ou logiciels (innovations). L’effort de recherche est particulièrement intense, notamment dans le domaine des capteurs photographiques (la spécialité du centre de R&D de Grenoble) ou de la téléphonie de cinquième génération, car le déploiement de la 5G commence à peine. Un déploiement qui va s’échelonner sur 10 ans, avec une norme qui va subir de nombreuses évolutions majeures. Les offres de 5G qui sortiront cette année sont ainsi considérées comme des évolutions incrémentales de la 4G actuelle. La 5G dite « native » (les professionnels utilisent le terme « stand-alone ») ne sera pas proposée avant la fin de l’année ou le début de l’année prochaine. De même, les offres qui concernent les objets ou capteurs connectés (celles qui exploitent des bandes de fréquences plus élevées) ne devraient pas sortir avant 2022. Contrairement à ce que l’on peut penser, la 5G n’est résolument pas finalisée, c’est un ensemble de normes qui vont être amenées à beaucoup évoluer au cours des 10 prochaines années. Des évolutions dont profiteront en priorité les entreprises capables de faire mieux, celles qui parviendront à repousser les limites du possible. D’où l’importance de ce centre de recherche fondamentale.

Tout ceci est très intéressant, mais est-ce pertinent pour les entreprises qui ne sont pas dans le secteur des télécommunications ? Oui, car comme expliqué plus haut, Huawei est l’archétype du nouvel entrant que les acteurs historiques n’ont pas vu venir (Cisco, Ericsson, Nokia-Siemens, Alcatel-Lucent…), mais qui a su conquérir une position dominante en un temps record. Encore une fois, l’innovation technologique est un moyen d’y parvenir, mais il existe d’autres façons de disrupter un marché : l’expérience utilisateur (le cas de Uber dans les transports est particulièrement emblématique), le modèle économique (Dollar Shave Club est un très bon exemple dans les FMCG), la distribution (une micro-marque opérant en Direct-to-Consumer comme Glossier a réussi à faire trembler des acteurs historiques et sur-puissant comme L’Oréal).

Quels enseignements pouvons-nous tirer du cas Huawei ? Que rien n’est impossible à qui se donne les moyens de ses ambitions. La question est de savoir si vous avez les moyens d’identifier en amont un nouvel entrant potentiel (le Huawei, Uber ou Glossier de votre secteur) ainsi que d’adapter votre offre et votre organisation aux bouleversements induits par ce ou ces nouveaux entrants. Quand votre seule ambition est de maintenir un statu quo (préserver des parts de marché sans changer l’offre, le circuit de distribution, le modèle économique…) ou de ne pas faire pire que vos concurrents directs, vous êtes exposé à un risque de disruption dont vous ne mesurez très clairement pas l’ampleur.

En conclusion, je vous propose de prendre du recul et de transposer le cas Huawei à votre secteur d’activité : le 21e siècle numérique se caractérise par un environnement ultra-concurrentiel et incertain qui apporte son lot de risques, mais également d’opportunités. Nous avons définitivement tourné la page du 20e siècle et de ses pratiques (zones de chalandise, pression publicitaire, économies d’échelle…), il n’est pas trop tard pour faire évoluer votre modèle d’entreprise et revoir vos ambitions à la hausse afin de vous projeter dans cette nouvelle décennie. Mais pour cela, il semble indispensable de libérer le potentiel de croissance de votre entreprise en ayant recours à l’exploitation intensive de la donnée (Des entreprises augmentées aux entreprises exponentielles) et surtout de procéder à un changement culturel pour sortir de la léthargie (passer d’une position défensive à une dynamique d’adaptation et d’évolution permanente : L’accélération numérique implique un changement de mentalités).

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