« Il y a une injonction à l’accélération. »
Cyril Abitboul, Directeur Général de Renault Sport Racing
Ma casquette d’analyste m’amène parfois à participer à de jolies expériences, comme ce fut le cas en février sur invitation du groupe Renault. J’ai ainsi pu accompagner une sélection de journalistes et d’influenceurs aux F1 TESTING DAYS à Barcelone, avec pour objectif de mieux comprendre comment le groupe mettait à profit son investissement en Formule 1 pour accélérer ses activités et son organisation historique.
Renault F1 Team, c’est 1.200 personnes, avec au bout de la chaîne, les pilotes. J’ai ainsi pu rencontrer Esteban Ocon et Daniel Ricciardo qui ont pu partager le poids de management qu’ils portent sur leurs épaules. De leur aveu, conduire est la partie facile (et agréable) de leur vie. Mais la majeure partie est consacrée au marketing et aux relations publiques (ce qu’ils ont d’ailleurs très bien fait pour notre échange).
Qu’est-ce qui est spécifique à Renault F1 Team ?
Pour réussir à performer, Renault F1 Team travaille beaucoup à entretenir l’esprit d’équipe. Ils ont 2 sites (Viry-Châtillon pour la partie développement et tests moteur, et Enstone pour la partie conception châssis, assemblage et essais), ils sur-communiquent, font beaucoup de briefings / débriefings, et ils rassemblement régulièrement l’ensemble du personnel. La culture de l’entreprise se construit sur les victoires, voire les micro-victoires, et cela est parfois compliqué comme en 2019 (mais cela ne doit pas faire oublier le palmarès global : Renault F1 a remporté onze titres Pilotes, douze titres Constructeurs et 177 victoires en Grand Prix). L’un des pilotes, Daniel Ricciardo, me partageait aussi que Renault F1 Team se caractérise par la passion et l’émotion, là où son ancienne écurie (Red Bull) était plus centrée sur le business.
La course se joue principalement autour de deux aspects : une bataille physique pour le pilote et une bataille technologique pour l’équipe. La donnée est cruciale et les pilotes apprennent à la comprendre. Renault F1 Team se pose constamment la question du ratio entre le temps investi et le retour sur investissement en termes de performances.

Qu’est-ce qui différencie Renault F1 Team de Renault ?
En Formule 1, il est essentiel de s’adapter constamment à une nouvelle concurrence, de nouveaux règlements, de nouveaux défis techniques. Les temps sont beaucoup plus courts que sur la production de série. A l’opposé, là où Renault assure une qualité et une robustesse des processus, Renault F1 Team a parfois des difficultés à « reboucler la boucle ». La phase de bilan est compliquée à faire dans un rythme effréné. En cela, ils doivent apprendre du groupe.
Rémy Taffin, Directeur Technique Moteur, m’expliquait aussi qu’a contrario de Renault, l’écurie ne fabrique pas ses propres pièces. La fabrication est externalisée, car les coûts sont importants. Ils se reposent ainsi sur un réseau de fournisseurs et anticipent les commandes jusqu’à 12 mois avant. Faire un moteur de F1 nécessite 18 mois (et jusqu’à 36 mois pour un projet en rupture), 400 personnes et un investissement 10 à 20 fois supérieur à ce que rapporterait la vente dudit moteur.
Cela ne les empêche néanmoins pas de fournir cette technologie à McLaren F1 Team, non pas dans un objectif de rentabilité, mais d’analyse des performances de ce moteur sur deux voitures différentes.
Autre différence, le management : la F1 travaille sur des cycles de développement très court, en management agile avec une forte capacité de réactivité. Le nombre de personnes impliquées est plus faible, et cela force chacun à porter beaucoup de responsabilités. Sur la série, les enjeux se font sur plusieurs années, et l’implication de tel ou tel choix a beaucoup plus de conséquences.
Qu’est-ce que la F1 apporte à Renault ?
En deux mots, l’émotion et de la technologie.
Renault F1 Team participe à de grands sauts technologiques où les voitures sont quasiment devenues des jeux vidéo. Cela a été permis grâce à l’évolution constante de la réglementation de la F1. L’hybride, les rendements à 50%, l’efficacité énergétique, les matériaux composites… viennent de la F1, avec des ingénieurs qui doivent trouver rapidement des solutions à un problème, sous contraintes. La F1 démontre ainsi ce qui est possible, et Renault est là pour montrer qu’on peut l’industrialiser.
Un exemple concret est donné par Nicolas Espesson, ingénieur Renault F1 Team : en 2014, l’organisme qui régit la F1 a imposé l’adoption d’un moteur 1.6 l Turbo Hybride pour des considérations écologiques. Renault F1 Team a donc travaillé à sa création, avec pour objectif d’avoir le choix de faire avancer la voiture avec de l’essence ou de l’électricité. Quand le pilote freine, il décélère avec le moteur électrique, et cela génère de l’électricité qui est stockée dans la batterie.
La transition entre la F1 et les véhicules de série se fait ensuite assez facilement d’un point de vue technologique. Mais cela est plus compliqué et long pour les composants. On passe ainsi d’un développement court en méthode agile (F1), à des cycles plus longs pour des raisons d’échelle (série). La F1 est donc un prototype qui ouvre la porte à de nouvelles opportunités en série (qui impliquent néanmoins aussi beaucoup de réflexion). Cet exemple a vu d’ailleurs apparaître de nouveaux métiers, tel que l’Energy Management, pour minimiser la consommation.
Dans les véhicules de série dédiées Clio ou Renault Captur, le moteur issu de ce transfert de la F1 s’appelle « E-TECH » (plus d’infos ici), associant un moteur essence, deux moteurs électriques et une boite de vitesse totalement innovante. Et il permet d’anticiper le futur, comme le moment où les moteurs thermiques finiront par être interdits en centre-ville (comme à Pékin).
Au-delà des technologies, un lien fondamental réside dans le partage des méthodes et des compétences entre la F1 et la production de série. Le savoir-faire et les outils de dimensionnement sont échangés et partagés pour optimiser les moteurs des deux univers.
Après cette journée, j’avoue ne plus voir la F1 comme avant. Les enjeux technologiques sont énormes, et je comprends désormais beaucoup mieux l’importance de ce laboratoire d’innovations pour le groupe Renault.