Du marketing digital à l’intuition augmentée avec Luc Dammann d’Adobe

« Le secteur du logiciel reste un domaine à fort enjeu humain. »
Luc Dammann

Comme beaucoup, j’ai découvert Adobe il y a longtemps, à une époque où le nom de l’entreprise rimait principalement avec des outils de PAO du type Photoshop, Illustrator… Pourtant, ce serait une énorme erreur de penser que c’est toujours le cas, tant Adobe est devenue protéiforme dans le domaine du marketing digital.

Pour en parler, j’ai eu l’opportunité de rencontrer Luc Dammann, Vice President & Managing Director SouthWest Europe chez Adobe, pour comprendre son parcours et sa vision pour le futur. Cet échange s’est fait par visioconférence, COVID-19 oblige. Pour l’anecdote, l’entreprise a versé une prime de 500$ à ses employés pour leur permettre d’investir dans du matériel propice à leur nouveau « lieu » de travail.

I) Passé : loin du geek, un urbain amoureux de nature qui sait provoquer sa chance

Né dans les années 70, Luc Dammann grandit à Paris où il rêve notamment de « voitures japonaises avec des boutons partout ». Issu d’une famille relativement favorisée mais peu conventionnelle (une mère médecin et un père travaillant dans les composants électroniques, notamment pour General Electrics, et qui a beaucoup contribué à son développement personnel), il vit alors dans le quartier de la Butte-aux-Cailles. Il fait toute sa scolarité au Lycée Claude Monet, où il apprécie la mixité culturelle et des milieux sociaux, loin du « carcan » dans lequel évoluait le reste de son entourage.

La suite de son parcours se fait dans une filière commerciale : il commence par une prépa-HEC avant d’intégrer Audencia en finance à Nantes (1990-1993). Il choisit cette école car elle propose d’envoyer les étudiants aux Etats-Unis, un pays qui le fascine. Il a notamment eu la chance à 5-6 ans de traverser les US. Il se rappelle de ce voyage, tout comme il se rappelle les voyages de son père là-bas et des objets qu’il lui ramenait. Il a également été inspiré par L’Etudiant Etranger de Philippe Labro. Bien sûr cette fascination n’est plus aussi forte aujourd’hui, même si son quotidien est profondément américain : il y a rencontré sa femme, avec qui il est marié depuis 20 ans, et avec laquelle il a eu 2 enfants franco-américains.

Après Audencia, il part faire un MBA en Marketing au Canada à l’Université de Laval (1993-1995). Il y réalise une thèse sur une méthode statistique (« analyse de corrélation canonique ») où il analyse les liens entre les performances de vendeurs et leurs caractéristiques personnelles (issues notamment des données de recrutement). Cette étude très intéressante, qui sera publiée dans la Revue Tunisienne de Gestion, est à retrouver ici, préfigurait ce qu’on appelle désormais la Data RH. Comme le dit Luc Dammann, s’il avait été plus sensible à l’époque au sujet de l’entreprenariat, il aurait pu être tenté de lancer une société sur le sujet.

Il quitte ensuite le Québec pour rentrer en France, où il subit une douche froide : sa nouvelle passion pour le numérique, et notamment pour Internet, connaît un très faible écho dans son pays d’origine. Cela prendra 1 an pour que l’e-mail intègre vraiment les entreprises, et qu’il sorte de ce moment de solitude.

Son parcours professionnel est ensuite composé à 100% de sociétés américaines. Il démarre chez HP (Hewlett Packard) sur un poste de marketing opérationnel qui le passionne et qui lui rappelle l’environnement de son père. Il est ensuite chassé pour rejoindre un constructeur qui fait des onduleurs. Il fait du management très tôt (et manage des personnes plus seniors que lui), et devient patron d’une filiale. Il décide ensuite de partir dans le Software chez Vantive, qui sera par la suite rachetée par Peoplesoft. Au fil du temps, il fait tous les jobs de terrain et prend plaisir à faire du commerce. En 2003, il intègre Peregrine Systems, qui sera ensuite rachetée par HP… Retour donc à ses premiers amours pour Luc Dammann, qui évolue alors dans la structure jusqu’à devenir Directeur Général HP Software France et membre du COMEX, puis Vice-Président Hewlett-Packard Entreprises Software France.

C’est à ce moment, en 2015, qu’il est approché par Adobe, une entreprise dont il découvre l’énorme potentiel, qui le séduit par ses valeurs, sa capacité d’innovation et son impact sur le monde de demain.

II) Présent : au coeur de l’expérience Client Made in Adobe

Luc Dammann est ainsi en charge de plusieurs pays dont la France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Belgique, la Hollande… Adobe s’organise autour de 3 pans business :

  • Photo, vidéo, design (Creative Cloud)
  • Marketing et analyse au service de l’expérience client (Experience Cloud)
  • PDF et signature électronique au service de la dématérialisation documentaire (Document Cloud)

Cette diversification de l’activité sur les marchés Grand Public et Entreprise permet à Adobe de dépasser allègrement le seuil des 10 milliards de CA (11 milliards en 2019) avec une croissance annuelle continue de plus de 25%. Adobe est désormais le 2ème éditeur mondial de logiciels derrière Microsoft avec une capitalisation boursière de 215 milliards de dollars.

Historiquement plus axée sur le BtoC, Adobe accélère sur le BtoB et entend créer un lien durable avec ses clients, grâce à un investissement depuis 10 ans sur le sujet de la donnée. Son ambition : faire converger contenu et données pour permettre aux entreprises de proposer une expérience client percutante et contextualisée. Pour cela, elle a procédé à de multiples acquisitions dont Omniture (Marketing Cloud), Neolane (gestion de campagnes marketing), Fotolia (banque d’images), TubeMogul (publicité en ligne), Magento (E-commerce), Marketo (Marketing Automation), Allegorithmic (créations de texture).

Le rôle de Luc Dammann est notamment d’aider à accélérer sur tous les sujets, dont en France où les entreprises accusent un retard relatif (mais c’est en train de changer). Le récent confinement a d’ailleurs débloqué beaucoup de choses et a fait gagner « des années de validation », la crise COVID-19 ayant agi comme un catalyseur des initiatives de transformation digitale, en particulier autour de l’expérience client sur laquelle les directions générales entendent accélérer. 

Il reste néanmoins des freins internes, qui nécessitent une démarche de Change Management, qu’Adobe accompagne via une entité Digital Strategy Group qui propose aux clients des benchmarks, une trajectoire digitale jalonnée de « quick wins » en fonction de la maturité des clients. Elle établit également des ponts entre DSI et Métiers, deux composantes essentielles pour conduire le changement et assurer le succès.

Tout comme d’autres patrons français d’entreprises américaines technologiques que j’ai pu rencontrer, Luc Dammann a vocation à faire rayonner la France à l’international, et que les talents soient reconnus. Il est particulièrement fier d’avoir été suivi par le siège américain pour concrétiser un projet ambitieux (nom de code OneParis) auquel il était attaché : regrouper toutes les équipes françaises d’Adobe dans un nouveau siège au cœur de Paris, un immeuble entier pensé pour faciliter de nouvelles méthodes de travail et renforcer la culture de diversité et de collaboration entre tous les employés.

III) Le Futur : du recentrage autour du client à l’intuition augmentée

Pour les prochaines années, l’approche client-centric sera essentielle, tout comme il sera essentiel de réconcilier définitivement les canaux physiques et digitaux. De même, tout comme Adobe l’a fait de son côté, on devrait voir une accélération de l’économie à la souscription.

Côté données, il faudra augmenter la capacité d’exploitation et de désilotage de la donnée, afin d’alimenter des cas d’usage temps réel. Par exemple, un projet a été signé en Hollande pour une entreprise de télécommunication, afin de mieux gérer le churn (taux de désabonnement) lors du déménagement de clients.

Enfin, impossible de ne pas parler d’intelligence artificielle, vis-à-vis de laquelle il existe actuellement une grande défiance. C’est pourtant un potentiel catalyseur de créativité, un formidable assistant personnel pour patron ou créatif, qui permettra de prendre de la hauteur par rapport aux sujets opérationnels du quotidien. Bref accorder plus de place à la stratégie et à la créativité, en déléguant à l’IA les tâches opérationnelles plus fastidieuses.

Mais comme il aime à le rappeler, Luc Dammann croit aussi beaucoup à l’intuition humaine, qui, couplée avec de la donnée, deviendra une intuition augmentée.