« L’enthousiasme est à la base de tout progrès. »
Henry Ford
© Nicolas Gouhier
L’année 2020 a été marquée par de nombreux sujets, dont des débats passionnés autour de la 5G. Pour aller au-delà des idées reçues, j’ai eu l’opportunité de rencontrer Michaël Trabbia, Chief Technology and Innovation Officer du Groupe Orange, qui a accepté de me répondre en toute transparence.
L’occasion de comprendre les enjeux autour de cette technologie, et d’appréhender son impact sur les individus, et également sur les entreprises.
Mais opérons tout d’abord un petit retour en arrière pour comprendre à qui nous parlons : ingénieur télécom de formation, Michaël Trabbia a commencé sa carrière en 2001 à l’ARCEP (le régulateur français des télécommunications) où il était notamment en charge de l’attribution et du contrôle des licences mobiles. En 2004, il est nommé Conseiller technique au cabinet de la Ministre déléguée aux affaires européennes, avant de rejoindre en 2005 le cabinet du Ministre délégué à l’aménagement du territoire, comme Conseiller technique « TIC et Europe ». En 2007, il rejoint TDF (un opérateur de réseau et d’infrastructure en France) où il occupe les fonctions de Directeur de la stratégie et du développement. En juillet 2009, il est nommé Directeur de cabinet adjoint du Ministre chargé de l’Industrie et chef du pôle « filières industrielles », avant de rejoindre le groupe Orange en 2011. En janvier 2011, Michaël Trabbia est Directeur des affaires publiques du Groupe puis nommé en juillet 2014 Directeur auprès du Président Directeur Général d’Orange, Secrétaire du Comité Exécutif du Groupe. Il devient ensuite CEO d’Orange Belgique, jusqu’en septembre 2020 où il prend les fonctions pour lesquelles je l’ai sollicité. Il dirige alors la division Technology & Global Innovation et a notamment la mission de renforcer la data et l’IA au cœur de l’innovation d’Orange.
Concentrons-nous maintenant sur le sujet de notre article : la 5G. J’avoue que jusqu’il y a peu, je n’avais pas de vision claire sur son arrivée effective en France (en dehors du fait qu’elle y était déjà testée depuis plus d’un an). C’est pourtant désormais chose faite, depuis le 18 novembre dernier, et Orange de son côté dévoilera ses offres commerciales d’ici la fin 2020 (l’entreprise a déjà annoncé le lancement de 15 villes 5G au 3 décembre 2020, dont Nice, Marseille, Le Mans, Angers, Clermont Ferrand…). Concrètement, ce qui s’est passé le 18 novembre, c’est le début du déploiement d’un réseau de fréquences 5G qui ont été vendues par l’Etat à différents opérateurs (soit 310 mégahertz, dont 90 pour Orange).
Mais de quelle 5G parle-t-on ?
Sachez qu’il existe deux types de 5G :
– La 5G dite DSS (pour Dynamic Spectrum Sharing), qui permet d’utiliser les antennes déjà installées actuellement, et les fréquences 3G/4G. Cette 5G est en réalité un produit dégradé, une « fausse 5G » avec des débits qui peuvent même parfois être inférieurs à ceux de la 4G. Mais elle présente plusieurs intérêts pour les opérateurs : tout d’abord, elle est beaucoup plus facile à déployer car elle répond « aux normes » (mais pas à ses bénéfices). Ensuite, elle permet de communiquer beaucoup plus rapidement sur la couverture 5G qui est proposée. Pourtant, elle est loin de la « vraie 5G », et contribue à mon sens à tromper le consommateur final. Le gouvernement et l’ARCEP en sont d’ailleurs bien conscients, puisqu’il ont déclaré qu’ils seraient très vigilants vis-à-vis de la communication effectuée sur le sujet.
– La « vraie 5G » ou 5G standalone, qui implique elle le déploiement de nouvelles antennes, et qui garantit du très haut débit, et une haute capacité. Les premiers tests auprès des particuliers dévoilent pour le moment selon Orange un « doublement de la satisfaction client versus un utilisateur normal », tant en termes de fluidité que d’expérience utilisateur. C’est cette option sur laquelle s’engage Orange, en espérant que les clients auront la faculté de séparer le bon grain de l’ivraie, avec un déploiement prévoyant les premières villes 5G dès 2020, puis entre 2021 et 2022, avec un objectif de 75% de couverture à 2022. Orange mise sur la pédagogie et la transparence, sur un sujet qui déchaîne parfois les passions.
La 5G en France, est-ce urgent ?
On découvre à peine la 4G dans le métro à Paris qu’on doit déjà lancer la 5G ? Quid des zones blanches ? Sur ce dernier point, beaucoup d’efforts ont été fait sur le sujet, et la 4G sera disponible dans toutes les communes d’ici 12/18 mois.
Pour revenir à la 5G, il faut d’abord comprendre que le travail sur cette nouvelle norme a été amorcé dès 2012, le sujet n’est donc pas nouveau, en tout cas pas pour les professionnels des télécoms. Mais ces 10 dernières années, le trafic a explosé (+40% de trafic par an, avec une augmentation x10 du trafic moyen par client en 10 ans) et à certains moments de la journée, on observe déjà de la saturation, provoquant un ralentissement des vitesses de connexion, et un risque de dégradation de l’expérience utilisateur.
Face à cette situation, 2 options sont possibles :
– Densifier le réseau actuel (et donc mettre plus d’antennes), mais dans les zones urbaines elles sont déjà nombreuses
– Augmenter la capacité, avec de nouvelles fréquences, notamment 5G
La 5G en France, est-ce dangereux pour la santé ?
Le débat sur la 5G touche notamment celui des ondes. Il faut rappeler que ces dernières nous entourent constamment, qu’elles nous servent à communiquer (le son est une onde par exemple), et que c’est un phénomène que l’on maîtrise depuis plus de 100 ans. Mais les ondes, c’est aussi quelque chose qu’on ne peut pas sentir ou toucher, et quand on lie cela à un sujet techniquement complexe à appréhender, cela peut générer de l’inquiétude, dans un pays adepte du principe de précaution comme la France, ou dans un monde où les réseaux sociaux facilitent la diffusion de fausses informations. Pourtant, les déploiements prévus sont bien loin de ce qui est mis en avant dans le débat pour attaquer la 5G : on parle pour Orange de bandes de 3,4-3,8GHz, là où le débat porte sur les ondes dites millimétriques à 26-28GHz. Pour l’instant, en Europe, ces fréquences ne sont pas allouées et donc pas utilisées à des fins commerciales. Elles sont néanmoins déjà prises en compte dans les rapports et avis sanitaires et dans les réglementations sur les ondes radio en Europe et en France. Le seuil d’exposition à ne pas dépasser est de 61 volts/mètre. En dessous de ce seuil, les autorités sanitaires internationales et nationales considèrent qu’il n’y a pas de risque pour la santé. Les antennes 5G 26GHz qui vont être déployées à terme ont des puissances comparables à celles des points d’accès WiFi (quelques centaines de Mw). Il n‘y a donc pas de précaution particulière à prendre.
Pour ma part, je me rappelle que toute nouvelle technologie amène des questions. Ça a été le cas pour le GPS dans les téléphones (comment accepter de se faire tracer constamment ? Un sujet totalement oublié au regard du bénéfice apporté), du WiFi (peur là aussi des ondes, alors que maintenant on capte des dizaines de réseaux en ville, peu importe où on se trouve)… Avec le temps, les craintes s’apaisent, et on finit par avancer.
Quel est l’intérêt pour les grandes entreprises ? Et pour les PME ?
« La 5G est un enabler qui apporte beaucoup de promesses à l’industrie ».
Le déploiement pour les entreprises prendra plus de temps que pour le grand public. Orange est actuellement en test avec différents acteurs, dont Schneider, La Croix, ou encore le Port d’Anvers, où on raccorde par exemple ensemble des remorqueurs qui ont chacun des radars 5G, permettant d’avoir une image en temps réel du trafic, et ainsi d’augmenter ce dernier en toute sécurité.
Pour Michaël Trabbia, la 5G va constituer une rupture dans l’industrie 4.0, l’Internet des objets (IoT), les villes intelligentes…
Elle permettra notamment :
- Une connectivité dédiée, garantie, monitorée, avec un débit à la demande versus la logique actuelle du one size fits all
- Une communication sécurisée. Actuellement, les entreprises doivent passer par des réseaux privés, très chers, car le réseau mobile actuel n’est pas suffisant
- Une agilité sur les chaînes de montage, où on passera d’équipements connectés en filaire, à des machines et robots connectés en 5G. Il deviendra alors très simple de tout reconfigurer en quelques heures, versus quelques jours aujourd’hui
- Un boost de l’utilisation des technologies de réalité virtuelle, mixte, et augmentée. Pour cette dernière par exemple, on peut imaginer un technicien en intervention avec une tablette, qui aura accès à la fois aux données des capteurs de l’équipement et des modalités d’intervention, tout en étant connecté à un support à distance
- Une massification du nombre d’objets connectés, les technologies actuelles n’étant pas faites pour ça
- Une accélération de la maintenance prédictive, dans tout ce qui est réseaux de distribution d’eau, de gaz, où il y a des centaines de milliers d’infrastructures où on pourrait installer des capteurs
- Une optimisation du trafic routier, en analysant en temps réel l’utilisation du réseau de transport
En route vers la 6G, et la fin de la connexion fibre ?
Il y a quelques semaines, j’ai rencontré le Directeur R&D de Huawei France qui m’expliquait qu’à 10 ans, l’objectif était de viser une connexion à 1Tbits sans fil. En en parlant avec Michaël Trabbia, il m’a expliqué que cette vision était celle d’un industriel, alors qu’Orange avait d’autres critères que la vitesse : l’efficacité énergétique (comme pour la 5G), la résilience, la capacité du réseau à faire face à un choc (coupure par exemple).
La 6G devra apporter des réponses sociétales, tant en termes de consommation des batteries, de consommation énergétique… Tout cela est travaillé au niveau mondial au sein du 3GPP qui rassemble des équipementiers, des opérateurs comme Orange, afin de définir des normes. La course est néanmoins déjà lancée, comme le montre le lancement d’un satellite 6G par la Chine, ou des projets comme Starlink de l’entrepreneur Elon Musk, ou encore Loon de Google. Même si nous sommes encore loin d’une réalité industrielle.
Enfin, concernant la question de la fin de l’Internet par fibre, ce n’est pas à l’ordre du jour. Il faut fibrer les antennes, la fibre est beaucoup moins coûteuse économiquement en termes d’énergie que la data mobile. Et surtout, actuellement, 90% du trafic data est porté par les réseaux fixes, WiFi compris.
Pour conclure, le futur de votre business s’écrira à coup sûr en 5G. A vous d’anticiper sa future utilisation, et l’impact sur votre business model, et votre organisation.