« Si vous souhaitez investir dans notre compagnie, nous plaçons le client en n°1, l’employé en n°2, l’actionnaire en n°3. »
Jack Ma
Hasard du calendrier ou signe des temps, mes deux derniers articles parlent de la Chine. Cette fois-ci, j’aborde le sujet d’Alibaba France, par le prisme d’une interview avec Laura Pho Duc, sa Directrice Marketing. Elle nous partage son parcours, sa mission chez Alibaba, et sa vision long terme sur les sujets du marketing et du digital.
Passé : une expérience multi-facettes et internationale
Née de parents vietnamiens qui sont arrivés en France au moment de la guerre, Laura Pho Duc se caractérise dès ses plus jeunes années par son pragmatisme à vision internationale : ainsi, plutôt que du latin ou du grec, elle s’oriente d’abord vers de l’anglais renforcé et de l’espagnol pour s’assurer qu’elle puisse se connecter à un maximum de personnes, et de cultures. Ensuite, sous l’influence de son père scientifique, elle s’oriente vers des études axées biologie / mathématiques. Mais cela ne lui donne pas une vision claire de ce qu’elle souhaite faire par la suite. Elle emprunte alors « la voie royale », prépa + école de commerce avec l’envie de faire du contrôle de gestion. Elle a pourtant toujours l’impression que cela ne lui correspond pas parfaitement, et fini en 1997 dans un stage au sein d’un département marketing.
Les choses se précisent alors pour elle, notamment parce qu’elle se trouve au tout début de la montée en puissance d’Internet. Elle intègre d’abord une société d’antivirus (Trend Micro) où elle développe un extranet, se forme au code Html avec « Dreamweaver pour les nuls », et elle comprend le potentiel des nouvelles technologies pour le marketing. Elle écrit d’ailleurs son mémoire sur le sujet : « Communication et marketing des entreprises françaises à l’ère du digital », validant il y a longtemps déjà son intérêt sur le sujet.
Elle intègre ensuite TBWA\France pour faire du « BTL » (pour Below The Line VS Abobe the Line (ATL) / les plus anciens comme moi s’en souviendront). Elle apprend à faire des sites vitrines, fait ses armes notamment sur le compte Renault, et opère des partenariats avec les géants de l’Internet de l’époque : Yahoo, Altavista… Puis elle est recrutée par Disney, pour gérer le E-commerce, le CRM et la donnée. Au bout de 4 ans, elle retourne en agence au sein de WPP, où elle amorce une expérience internationale au Mexique, en Finlande, en Angleterre, et apprend à gérer les aspects locaux, régionaux, et globaux. Elle y renforce sa double expertise marketing et digital, tout en développant une certaine résilience et une compréhension de l’importance culturelle dans les stratégies marketing : comprendre la langue, le pays, les spécificités pour être vraiment efficace.
Retour en France, d’abord en agence chez Fullsix, avant d’intégrer Puig, société internationale consacrée aux secteurs des parfums, des cosmétiques, et de la mode. Elle y officie en tant que Directrice globale de la transformation digitale, et c’est à cette époque que j’aurais le plaisir de la rencontrer. Lui vient néanmoins une frustration : il lui manque la partie Asie, alors qu’elle a l’intuition que ce marché va devenir un puissant moteur. Elle ose alors contacter le Directeur Général d’Alibaba France qui venait se lancer, et finit par être recrutée en tant que Directrice Marketing et Communication France, en fin 2016, au sein d’une équipe de seulement 7 personnes. Tout est à construire, et les directions à prendre ne sont pas totalement définies. Il y a néanmoins une envie d’explorer le secteur du Luxe, et ce sera la première mission de Laura Pho Duc.
Présent : un profil multi-facettes au service d’un intérêt croissant des entreprises françaises pour la Chine
Depuis 2016, les équipes d’Alibaba France se sont étoffées, pour atteindre désormais près de 50 personnes.
Le rôle de Laura (en collaboration avec les autres talents de l’entreprise) est en fil rouge de faire monter en compétences les partenaires (comme La Poste), clients, prospects, médias sur Alibaba et le marché Chinois, en gardant en tête la mission du groupe : « To make it easy to do business anywhere », et en embrassant la culture très familiale et entrepreneuriale qui caractérise le groupe, de même que ses valeurs (cf image).
Elle aide ainsi les entreprises françaises désireuses de s’exporter, celles qui ont parfois du retard (sur le paiement mobile, les contenus, le cloud), celles qui veulent se lancer sur des plateformes comme Aliexpress (présente dans 220 pays). Elle accompagne aussi notamment les marques dans leur relation avec les consommateurs chinois, en aidant par exemple à l’intégration de la solution de paiement Alipay dans les lieux de ventes, ou en opérant avec eux des campagnes marketing au sein de cet écosystème d’applications (qu’on appelle aussi meta-app) qu’est devenu Alipay.
La typologie des entreprises qui collaborent avec Alibaba est très large, allant d’une TPE de la santé à de grandes entreprises comme Pernod Ricard ou L’Oréal. Des entreprises du Luxe bénéficient de workshops très opérationnels et business, comme « Comment améliorer mon CA sur mon Tmall Store ». Les interlocuteurs sont aussi multiples, allant du Directeur Import-Export au COMEX, en passant par le Directeur E-commerce.
Tout cela se fait au sein d’une entreprise agile, résiliente, humble, qui accepte l’idée que tout puisse recommencer à zéro si c’était nécessaire. Alibaba a d’ailleurs mis une date de fin sur son existence, puisque comme le dit Jack Ma (son ex CEO) « les 18 fondateurs d’Alibaba étaient déterminés à créer un groupe mondial d’origine chinoise avec l’espoir qu’il deviendrait l’une des dix premières entreprises internet au monde, qui existerait pour 102 ans », période couvrant trois siècles distincts. Alibaba ne se pense pas comme une marque. C’est un service, à destination du monde.
Voyant tout cela, j’ai demandé à Laura Pho Duc quelques conseils pour nos lecteurs qui auraient envie de se lancer sur le terrain chinois. Elle insiste tout d’abord sur l’importance de se poser la question du « pourquoi » ? Quel est le besoin, au-delà d’une certaine « tendance chinoise » : se digitaliser ? Vendre ? Une fois que l’objectif est défini, quelle est la priorité ? Car on pense souvent qu’aller en Chine peut aller très vite avec beaucoup de résultats à la clé, mais cela ne peut se faire sans une profonde implication : comprendre le marché, embaucher les bonnes personnes, parler chinois, avoir des partenaires… Le pays ne doit pas être vu comme un Eldorado, mais comme une opportunité, où il est essentiel de tester des choses.
Futur : quelles tendances à 10 ans en marketing et digital ?
Laura Pho Duc nous partage pour terminer sa vision et ses intuitions sur les prochaines années :
– La dématérialisation des intermédiaires dont elle observe déjà l’impact dans de nombreux domaines, comme celui de la finance avec les monnaies digitales (Euro numérique et Yuan digital…), ou du E-commerce avec les marketplaces. Et son métier ne n’y échappe pas, avec par exemple le média planning où on ne passe déjà plus vraiment par des intermédiaires « agences », parce qu’on a directement accès aux données et qu’on a des outils de plus en plus efficaces pour le gérer en interne.
– L’Intelligence artificielle appliquée de manière pragmatique, avec par exemple son utilisation pour la logistique via la « Smart Technology » en Chine : arriver à définir de manière plus responsable les types de matériaux pour les colis, la taille des colis, le chemin le plus efficace en temps et en impact carbone… Tout cela va s’accélérer.
– Le Marketing visuel et expérientiel lié à l’intelligence artificielle : recherche par la voix, recherche par l’image (comme sur Aliexpress)… La production de contenus pertinents et automatisés pour les marques de manière industrielle va aussi devenir la norme, et va mettre vraiment en difficulté les agences qui ne sauront pas s’adapter.
– La rapidité en termes d’exécution marketing, et notamment la communication digitale en temps réel avec le livestreaming (exemple ici par Alibaba avec une visite du Louvre où 380 000 spectateurs (et acteurs) étaient présents dès la première minute de diffusion).
– La RSE qui va changer notre façon de créer, de penser des services et de les marketer : on ne peut pourra plus rien faire en tant qu’entreprise ou marque si ça ne répond pas à une certaine transparence vis-à-vis des consommateurs (avec une responsabilité partagée entre les entreprises et les consommateurs).
Pour conclure, je lui pose la question de son sentiment pour le monde post-covid. Elle me répondra « Le monde d’après est un semi-monde d’avant : on pourra s’éviter par exemple des voyages professionnels à l’autre bout du monde pour 3h de réunion, tout en prenant plaisir à retrouver les événements physiques ».
Sur ce point, comme sur beaucoup d’autres, je ne peux qu’être d’accord avec elle.
Si le sujet du digital en Chine vous intéresse, vous pouvez nous contacter.